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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2017-05-22 | [This text should be read in francais] |
Quand je serai grand, je serai un grand homme ! Je serai un général ! Je dirigerai mes troupes d’une main de fer et je vous le dis tout net : ça va marcher au pas. Je n’aurai peur de rien ni de personne. Je foncerai vers le danger quand tout le monde le fuira. On m’admirera. On parlera de moi dans les chaumières. On citera le nom de ce héros qui a sauvé la France dans les livres d’histoire et sur de nombreux monuments à ma gloire. Les femmes se pâmeront devant moi. Soupirant mon nom, caressant mon visage avec envie et gratitude. Bien sûr mes parents m’encouragent dans cette voix. Ils rêvent aussi que leur nom devienne illustre. Ils ont comme moi la France dans le sang. Et puis cette fierté dans les yeux de ma mère quand elle narguera ses amies avec son fils en uniforme.
C’est ainsi que se rêvait le petit Auguste Zangra sur les bancs de l’école : les mains encore pleine d’encre refugiées dans les poches de son pantalon bardées de soldats de plomb, les yeux telles des billes salées et humides perlant sous la pluie des coups punitifs du maître. On lui avait appris la discipline et l’honneur de la patrie. Il bûchait ses leçons avec zèle, ne perdant jamais de vue son objectif. Un jour il serait un héros, un jour il serait le héraut annonciateur de paix, quitte à faire la guerre. Un jour Zangra sera sur toutes les lèvres, un jour tous sauront qui je suis et ce que j’ai fait se répétait-il. Un jour, un jour… Les rêves d’enfant ne sont-ils pas les plus forts… Il savait son orthographe et sa grammaire, le calcul n’avait plus de secret pour lui. Il détenait les meilleurs résultats à son certificat d’étude, se vantant ça et là d’avoir médusé le jury par son étonnant savoir lors de son épreuve orale. Son obéissance au maître avait porté ses fruits se disait-il, le confortant à chérir l’idée qu’il serait cet homme rare que toutes et tous attendaient. Il est des systèmes où l’obéissance et la discipline paient plus que le questionnement et la richesse de la contradiction. Et qui mieux que l’armée pouvait lui offrir cet idéal et donner à son nom les lauriers qu’il mérite. Il choisit la cavalerie pour sa prestance et pour l’allure de l’uniforme, s’imaginant foncer sur son destrier droit vers le danger, le sabre fendant le vent en criant « Sus à l’ennemi !», ou « Rappelez-vous de Zangra ! ». D’ailleurs, il était sûr que cette dernière phrase trônerait dans les livres d’histoire, à coté du « J’y suis, j’y reste » de Mac Mahon et du « Veni vidi vici » de Jules César. Enfin la guerre éclate ! C’est pour lui l’occasion d’apposer son nom sur les frontons et dans tous les esprits. Déjà tout son régiment connait son nom. Tous parlent de lui, parfois avec sourire, parfois avec gravité, toujours avec circonspection et crainte. On murmure dans les tranchées qu’il faut prendre garde à ne pas trop contrarier le grand général Zangra. Certain se rassurent, d’autres prennent peur devant son assurance dans le tumulte des gaz moutarde et la clameur des mortiers. Tous attendent l’assaut, mais aucun n’attend ça plus que lui. Il a rendez-vous avec la postérité et la gloire. Son nom, le nom de ses parents, sera inscrit au panthéon. Sa vie n’aura pas été vaine puisqu’on se souviendra du grand Zangra ! Et dans ce dernier assaut où il se rue à tue-tête en maugréant une dernière phrase illustre que personne n’est là pour noter, il tombe sous les balles ennemies. Sa dernière pensée ne s’offre pas le loisir du doute ni d’un « pourquoi ». Sa dernière pensée comme son auteur est pleine de certitude : « Les hommes se souviendront de mon nom, plaît à Dieu de le connaître à présent ». Son corps n’a pu être identifié. Trop de boues, trop de blessures, trop la gueule cassée sans doute. Le fait est que sa dépouille a été mise dans un cercueil de chêne et déplacé jusqu’à la citadelle de Verdun ainsi que huit autres soldats comme lui, morts en ayant servi l’uniforme français. Le jeune Auguste Thin, illustre anonyme s’il en est, se voit remettre un bouquet d'œillets blancs et rouges par le non moins illustre André Maginot. Son rôle est de déposer une fleur sur l’un des cercueils afin de désigner celui qui sera inhumé sous l’arc de triomphe. Le jeune homme faisant preuve de simplicité se dit à lui même « J'appartiens au 6e corps. En additionnant les chiffres de mon régiment, le 132, c'est également le chiffre 6 que je retiens. Ma décision est prise : ce sera le 6e cercueil que je rencontrerai ». Par cet étonnant calcul, il choisit sans le savoir le cercueil de Zangra. Ainsi le hasard et non la distinction fit de celui qui se voulait être un héros reconnu de tous, le symbole anonyme de tous ces héros. Ainsi son nom fut oublié. Ainsi naquit le soldat inconnu. |
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