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Le petit chat
poetry [ ]

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by [Edmond_ROSTAND ]

2010-10-20  | [This text should be read in francais]    |  Submited by Guy Rancourt



C'est un petit chat noir, effronté comme un page.
Je le laisse jouer sur ma table, souvent.
Quelquefois il s'assied sans faire de tapage ;
On dirait un joli presse-papier vivant.

Rien en lui, pas un poil de sa toison ne bouge.
Longtemps il reste lĂ , noir sur un feuillet blanc,
À ces matous, tirant leur langue de drap rouge,
Qu'on fait pour essuyer les plumes, ressemblant.

Quand il s'amuse, il est extrĂȘmement comique,
Pataud et gracieux, tel un ourson drĂŽlet.
Souvent je m'accroupis pour suivre sa mimique
Quand on met devant lui la soucoupe de lait.

Tout d'abord, de son nez délicat il le flaire,
Le frĂŽle ; puis, Ă  coups de langue trĂšs petits,
Il le lampe ; et dĂšs lors il est Ă  son affaire ;
Et l’on entend, pendant qu'il boit, un clapotis.

Il boit, bougeant la queue, et sans faire une pause,
Et ne relĂšve enfin son joli museau plat
Que lorsqu'il a passĂ© sa langue rĂȘche et rose
Partout, bien proprement débarbouillé le plat.

Alors, il se pourlĂšche un moment les moustaches,
Avec l'air étonné d'avoir déjà fini ;
Et, comme il s'aperçoit qu'il s'est fait quelques taches,
Il se relustre avec soin son pelage terni.

Ses yeux jaunes et bleus sont comme deux agates ;
Il les ferme Ă  demi, parfois, en reniflant,
Se renverse, ayant pris son museau dans ses pattes,
Avec des airs de tigre Ă©tendu sur le flanc.

Mais le voilĂ  qui sort de cette nonchalance,
Et, faisant le gros dos, il a l’air d’un manchon ;
Alors, pour l’intriguer un peu, je lui balance,
Au bout d’une ficelle invisible, un bouchon.

Il fuit en galopant et la mine effrayée,
Puis revient au bouchon, le regarde, et d’abord
Tient suspendue en l’air sa patte repliĂ©e,
Puis l’abat, et saisit le bouchon, et le mord.

Je tire la ficelle, alors, sans qu’il le voie ;
Et le bouchon s’éloigne, et le chat noir le suit,
Faisant des ronds avec sa patte qu’il envoie,
Puis saute de cÎté, puis revient, puis refuit.

Mais dÚs que je lui dis : « Il faut que je travaille,
Venez vous asseoir là, sans faire le méchant ! »
Il s’assied
 Et j’entends, pendant que j’écrivaille,
Le petit bruit mouillĂ© qu’il fait en se lĂ©chant.

(Edmond Rostand, Les Musardises, 1911)


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