Et je m'appelle terre, et je m'appelle temps,
J'aime au plus proche de mon corps
Et je dis non à la mort.
À genoux je reprends le sceptre de mon enfance,
Je souffre dans le coeur ténébreux de l'homme
Je volerai à Dieu l'éternité
Et je la planterai ici comme un arbre très clair,
Comme une maison nue parmi les vents.
Mortel j'allume une lampe sur la terre.
Amour et solitude - soleil à vif sur mon épaule !
C'est à même vos rêves que je prends demeure,
Je prends destin dans votre chair.
J'arracherai le feu des mains de Dieu
Et je vous le donnerai comme un vêtement,
Comme une nourriture première;
J'établirai d'un pas la saison habitable.
Solidaire j'ouvre à l'homme un règne ici-bas.
Terre et temps, ô tremblant feuillage de ma vie !
Je trace un signe sur cette épée,
Je vous la transmets comme un espoir invincible.
Debout je verse l'eau de pluie sur votre front
Et j'insuffle la flamme dans votre bouche;
Je descends à la source de ma souffrance,
Je trouverai la très ancienne formule.
Mortel j'ai mal de durer.
Je me fais une âme selon la terre,
Je plante dans ma chair des cris d'éternité,
Je dirai avant Dieu le premier mot d'amour !
J'affirme à la seule lumière de mon sang
Je sacre l'homme dieu
Et je m'appelle terre, et je m'appelle temps;
Je lui commande de ne plus souffrir,

Je lui demande de ne pas mourir.

(Gatien Lapointe, Poèmes retrouvés, Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2016, pp. 58-59)