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Epopée Islanerienne
poetry [ ]
Quatrième lame

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
by [felipe ]

2006-12-14  | [This text should be read in francais]    | 



Epopée Islanerienne
(Quatrième lame)


Je suis né la première fois une nuit de pluie et d’orage
la lune vitrifiée pendait au bout de son fil désarticulée
entre les toiles d’araignée sous une passerelle d’acier
près du café de la gare et les verts pâturages souillés
couverts de suies de fumées de flaques de brouillards

Sur un ruisseau souterrain, que jamais ne vis sourdre
puisqu’on l’avait embastillé de mâchefer et d’asphalte
entre les maisons qui suivaient ses rives emprisonnées
disparues au gré des contingences la forme d’une ville

L’architecture, l’ossature, la charpente d’une cité
les structures d’un navire serties dans le mouvant
ondoyant entre les pliures du vague et l’immobile
sous les auréoles fanées lépreuses des réverbères

C’était je me souviens au milieu d’un siècle dénudé
plus ladre et plus avaricieux encore de ses lumières

Moi de nuit, écartant les feuillages des saisons
où commence l’histoire sous l’acier des néons
les longues avenues éloignent la ville
sous les graphes des lampadaires
essaims tournoiements thrènes
les chutes des grappes d’éphémères

A la périphérie les lampes
sont plus grêles
les couleurs anémiées safranées

Se disperse dans la saumure
de l’huile fumeuse des luminaires
la clarté de bon aloi.

Retournez à la brume délavée
de vos banlieues précaires
Il n’est nul besoin de contempler
vos ombres délétères.

La cité agoraphobe ferme ses volets
s’ente dans les cendres de ses atomes
le no-man’s land des pulsations du vide

Demain il y aura au plein jour
frictions diurnes d’étincelles
mémoires-noctuelles, fissions
du noir le cri blanc défoliant
déliant les terreurs
moûts et remous
une lente macération
de l’obscur

Une brise marine agite les rémanences
les voiles des grands draps de chanvre
étendus sur l’herbe des prairies
derrière les filatures assoupies
à l’heure pétrifiée des midis
par d’antiques daguerréotypes

dans l’œil cyclopéen
les pixels, les nids d’abeilles
des caméras de surveillance
d’un monde terrifié de lui-même
les métamorphoses, les distorsions
les desquamations de sa propre image

N’effeuille pas la marguerite
ni cet amour qui tour à tour
en ses regains et les mortes-saisons
se languit de mornes attentes
se grise d’aurores, d’éclaircies
revient nidifier au cœur de ses épines

Bien que toujours on demande des comptes
des contes, des illusions, des affabulations
non pas La poésie mais des stratifications
des églogues endormies, des gnoses analogues
à une « vérité » qui-se-puisse-entendre-dire

Sous la courbe du pont
où se coule le fleuve
Là, où moi, les yeux fermés
j’ai conscience d’être une vague

Tout ce qui assemble
sans adhérer ni plier
turbulences terrestres de l’air
les formes aériennes de la rive

L’arc et la flèche, méandres
et ce qui fit détour, passant
sous le feutre des arcades

Feuilles incendiées
couchant la vigne vierge
morsure au creux
du cuivre mordoré

Dérive des branches écorcées
exérèse des racines
arborescences sectionnées
jusqu’à l’absence de sens

–Ce que le pont traverse
-ce qui l’a traversé

L’eau emporte la pierre enserrée
dans la souche grise des sables
les nuages, l’arche brisée des reflets
un instant dispersée par la brise
la flaque figée des granits

–Ce que le pont a traversé
-ce qui le traverse


Déjà les pluies d’hiver balayent le marais
comme la nuit est humide où je m‘efforce
d’ajuster cette absence de mouvement
aux nuages, leurs méandres changeants
et la traîne des îles, embuées d’embruns

Tu ne vas pas te dissoudre
dans les crachins d’air salin
le bleu d’une note
sur le clavier d’archipel
ni dans cette brume
dissolvant les chimères
les traces les ombres
des vagues la ronde
la rumeur des traversées
les rythmes du voyage

Accoste sur une langue de terre
vers cette lande gelée effroyable
où la parole n’appelle plus
n’interpelle dans son cri
que l’écho aphone du silence

et retrouve ton chemin

en toi, même les yeux fermés
en toi-même les yeux fermés

Cela doit prendre lieu
dans les formes du vent
lente hécatombe des glycines
du mauve sur la table en terrasse
mélangé aux diabolos sirupeux
avec le dos de la cuillère
une sorte de parcimonie des philtres
et des points de suspension

Est-ce que le vert s’élide
ou se retient de mémoire
de se fondre aux gypses givrés du soleil

On remonte des cendres, les cônes gris cernés
d’un doigt humide de salive et d’amertume
venue de l’ambre des grandes plaines crues
qui brassent l’eau l’orge et les houblons
le monde rémanent à l’ombre des tonnelles

Passent des silhouettes-coquilles vides
que personne ne semblent remarquer
bien qu’elles aient un instant occulté
l’orchidée noire que la nuit composait
de friches et de lunes d’étoiles rouillées
de segments d’archipels, parcelles d’îles
de piment, de cannelle délavée, d’épices
entremêlés au fond du verre
où se dispersent les continents.


-Riens, mobiles…

Je m’occupais d’œuvres
sans importance
Passait beaucoup de temps
moi aussi, sans savoir pourquoi
Un jour, il ne faut croire que la clarté
vient lentement sur le monde
je fus ébloui par la démesure de ma viduité
Je décidais alors afin d’en arpenter
les profondeurs d’écrire une Epopée,
pleine de pampres et de chemins qui mènent

J’esquive les oiseaux, je ne retiens jamais leurs noms
de crécelles et de malandrins,crapules, voleurs de grains
dans le champ du pauvre Martin, pêcheur comme il se doit
J’élude les vers qui me rongent, vermifuge les alexandrins
qui ne retombent jamais sur leurs pieds,Je succincte
j’abrège, ne garde que la substantifique moelle
de moi-même quintessence

Je vais à l’essentiel homéopathique, là je suis
ne trouve pas grand chose, qu’un vide conséquent
qui me constitue, soit déjà un embryon de preuve

j’existe…

Des pierres l’on disait et les feuilles prenaient vie
à bien les regarder phasmes et chimères noyés
dans la flambée des couleurs et tout ce qui semblait
inerte et froid bien avant l’incendie
La peau louvoyante du feu entée sur l’échine
dénudée de la colline
L’olivier se consume
avec la même célérité que l’eucalyptus
ainsi les Dieux d’essence volatile

Va pour cette fois

Une autre fois j’étais là-bas sur les docks
entre les grues géantes qui soulèvent
des saisons et l’aube comme un fétu
Il pleut dans le décor, des cordes épaisses
La ville est un navire penché, un arc de résilience

Je compte les pas qui séparent du possible
combien de chutes pour s’échouer sans déchoir
toucher le sommet, ses assises, tout ce qui se tient
et mène à l’impossible.

Quelque chose qui ressemble
à la mer charnelle
si douce-amère des je t’aime

au loin, derrière le no man’s land
le bunker, les friches industrielles
le charnier des décharges à ciel ouvert
sur lesquelles naviguent les mouettes
ivres de charognes

Je ne sais pas voler, pas encore
je creuse au fond les hauteurs céruléennes
les strates du vertige
Je fais venir en moi ce qui ne va pas de soi
devenir ce qui ne peut pas être

J’aurais pu…

-Lettre du menuisier-

Felipe

« Je fais un meuble, pour l’usage, servir et être regardé. Il faut que les choses autour de soi, même les plus simples soient belles, qu’elles invitent à l’harmonie. Si je faisais les chaises ainsi que je vois le monde, personne ne pourrait jamais plus s’asseoir.

Au fond, je n’aime pas ta poésie. Elle n’est pas sans objet, tu parles avec fracas des mêmes choses, que moi j’élabore lentement, mais ta parole ne construit pas. Elle constate, et reste sans effet. Tu ne dis rien de plus que ce que tout homme perçoit, si tu le dis mieux quelquefois, tu ne possèdes pas de remède.

Les mots s’ils ne sont pas suivis d’actions demeurent lettre morte. Tu voulais m’éblouir, je le suis et déçu que tant de beauté dans le verbe retombe aussitôt, s'enrouler dans les nœuds de son bois. »

(Me les brise.)

Je lui en foutrai
du sperme des étoiles
sur ses chaises branlantes
Un bel auto-da-fé
de tenons et mortaises
Il me faut tisser chaque jour
la trame qui de moi se joue

La vie ce n’est pas…

J’aurais pu…

Ainsi moi, je n’avais rien avancé ou si peu
de ce qui passe et demeure à peine effleuré
vertus des simples aux noms si compliqués
Ache, jusquiame, ellébore et toutes choses
étranges à défaut de pouvoir les nommer

Alouettes, au miroir dans les reflets
et le temps, éblouies

Ce que l’on tend, ce que l’on dit de soi
arche suspendue entre le vide, le retenant
pour accoster sur l’autre rive
impossible de soi-même
archéologue des pluies insaisissables

Effondrement du verre brisé des couleurs
vitrail du kaléidoscope dans lequel tout se confond
Murs et labyrinthes, les fondations et l’effondré
puisque tout participe de la déliquescence
puis nous laisse, au seuil, inachevés


Je vais faire la place ou situer le cri
puis vous irez composer les planètes
qui vous auront manquées
pour graviter dans l’espace fondu
parce que vous n’avez pas pensé
renouveler le geste qui faisait croître en vous
non pas les galaxies mais un bout de chemin
non son éternité

Vous aviez cru que l’on pouvait vivre
en passant les oracles de quelques mots brisés
comme les pierres qui façonnent
les cigales et le jasmin calciné
L’orage ne vivait pas de ses souples crinières
de foudre et de lumière
mais dans l’obscure attente
d’atteindre et de trembler

Voici la nuit aux yeux baignés de larmes
qui vient perforer mon magma
j’arrivais pourtant caréné
de certitudes effroyables,
puis le coq à chanté
signifiant mon trépas
Bah! Fariboles, que tout cela
J’inviterais le feu à s’asseoir à ma table
et je me tiendrais là
entre l’ange et le flou
au seuil des naufrages

Il ne fallait pas brûler l’amadou des tangages
dans la lampe des tempêtes au seuil des prairies
qui signifiaient aux plaines pétrifiées
par la magie des langues troglodytes
que la pluie commence dans le sel et l’esprit
sur les parois cornues où frémissent les saisons

Je reprends mon souffle sur la lande d’Oviedo
Les femmes n’ont pas bougé
leurs foulards déchiquetés frissonnent un peu
depuis les siècles poudroyants ou l’on menait
au sacrifice des animaux très doux
et de grandes chimères lactées
tandis que l’horizon poussé par l’orage
dévidait l’infini scarifié par l’aède
un peu saoul et sa lyre brisée

(J’ai mal à l’œil putain d’Ulysse où est-tu,
que je te strangule ton Iliade avec mon odyssée)

Gommerais-je cet apartheid ? Boum non,
je suis le prince des nuages, sa tête de grondin
son corps si léger, de câpres et d’haleines
la fluidité des menthes reviendra
en ses justices vertes broyer les solitudes
drapées de mantes, aiguisées d’inutiles poulpes
grisés de chloroforme dans la peau vulnéraire
des chagrins

Le vent je dis bien le vent et ses fagots d’hermine
et le moi emporté par les Tantum ergo
Je puise une eau claire aux sources des pillages
ou le fatras s’envole dans les épiceries
Empesés, vous serez pesés dans ces nacelles
avec le poivre le riz les girofles, les clous
les stigmates du safran…
et vous irez bouillir dans le décalogue
dans les langes moisis de fétides conquêtes
Il me faudra trouver la route impérissable
qui balance les îles dans ses linges coton
et le foutre et le sable et tout ce qui fulmine
dans les bannières des constellations.

Je partirai croiser au large le fer et son méplat
mettre le cap vers des bouges bizarres

(mais voici le marchand de pizzas)

posez sur cette table vos quatre saisons
et que l’huile épaisse du mystère
d’orgasmes et de houblons,
ne coule sur le « monde »
que je n’ai pas lu

Mouillez mouillez mes blondes caravelles
dans le fief des blés rouges et le sorgho brûlé
Partons que je vous roule dans les pelles
de mon écume de raves et d’élisions

Sagres et son bitume bleu de vagues nonchalantes
sera mon piédestal ou pissent les grillons
Voilà que le moteur crachote ses nuances
de bielles de purées et mon cœur marinheiro
fidèle si fidèle, se vomit à la poupe
dans les lingeries d’écumes graissées
d’orques intrépides et de sardines cuites

Passons, passons caps et tempêtes
filons vers la mer Rouge de basalte
et de fièvres
dormant dans les bras de Morphée
(avec un peu de Khat à brouter)

Rimbaud nous voit glisser sueurs et goudrons
avec mon équipage trépidant de borgnes
et de boiteux consumés par l’ivresse
On fait des bras d’honneur, il crie des saisons en enfer
on crache des fumées de mazout et d’huile camphrée
Le mousse beugle : « vieux con »
il faut bien que jeunesse se passe
à moins qu’on n’ait plus rien à bouffer
Au bout du monde le monde recommence
je n’allais pas sombrer dans les démences
parce que l’océan se jette bêtement dans un trou

Voilà l’Amérique et ses tours carbonisées
La statue de la liberté nous demande nos papiers
je remets du fuel dans l’antique gruyère
qui respire dans la cale et l’on se tire
vers l’est des banquises
Une indienne d’amour mourant nous salue
à six heures sur la berge d’un volcan
qui dort dans le feu
Je la coucherai bien sur le vif de la glace
pour la clouer au poteau turgescent des couleurs
mais le froid va nouer le nœud de la conversation

Je crois qu’on s’est perdus
dans nos graphes géomètres
de bois brasillé et le temps

Or et sans transition
je livre un combat titanesque
de tennis de table
avec mon vieux copain
Léopold Sendar Senghor
chez son neveu
maire et vétérinaire
dans le temps qu’il se peut
Je remonte sur mon vaisseau amiral
tressé sur les lacs de pagodes
de papyrus et de kamasoutra
Il sait bien qu’en soute pédale
un homme très vieil et très noir
qui fait tourner depuis
le premier jour du monde
les norias des cosmogonies.

Con, voilà des vierges folles
des chapeaux verts fanés
les coloniaux dressent
les petits hommes jaunes à servir:
« ils ne savent pas ce qu’ils font »
Oncle Ho applique à la lettre
la stratégie bourdonnante
des guerres de Vendée

« Le taon pique le bœuf jusqu’au sang »

Et c’est pâques dans l’île
au cœur spumeux des mimosas
engraissés de soleils
et c’est soudain l’été noir
au cœur tigré des belles annamites

Un antique gravier grince dans mes cardans
Je pousse mon avance vers les contrées sauvages
ou macèrent, dans les bleus cartilages des sommeils
des lacs salsugineux, des astéries blessées
et les bancs de Gorgones savamment dépeignées
dans les couloirs d’ozone vers les bals somnambules
qu’ouvrent en toi les saisons

J’ai embarqué le monde dans les pluies merveilleuses
où si tu dois pleurer au moins tu sais pourquoi.

(A propos de saisons, où en sont mes pizzas ?)

Des skuns en bandes de pharamines
dépliaient l’ovaire des dollars
mais l’odeur putréréctile des pièges oints
nous rebutèrent d’être la proie funeste
des oiseaux mirifriques
que seule notre mort consolaient

Puis nus, nous touchâmes
une langue de terre
enfin compréhensible…

Ainsi passait…

Avec mes équipages radieux
de borgnes et de boiteux
sur les chemins de neige aphone
Manquerait plus qu’elle crie
sa blanche ivresse d’exister
vers la haute mer d’huile des Cieux.

Je dis Le ciel, ses morcels rassemblés
tremblant dans les pintes de bière
de Styx, d’ambre, couleur Cappuccino
C’est là-bas vers l’Automne passé
en si précoce hiver
que même les oiseaux dans les arbres
n’osent plus chanter
de peur que leurs trilles
ne s’effondrent
en miettes verglacées
sur le champ

C’était au bout du monde
enfin pas très loin
une rue un peu torve
qui montait
comme une lave gelée

Descendait, c’est selon
si tu viens par la vieille ville
fortifiée de granits
ou traverses l’anachronisme
des jardins italiens rapportés
de lagunes effondrées
dans les valises d’un architecte fou

Un village de bricks et de brocanteurs
sous les halles où le chanteur
qui deviendra populaire
dégivre son enivrement
promène de mémoire
sa jambe en allée dans l’accident
Peut-être que l’on nous a aussi demandé
d’exceller sans filets dans un art funambule


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