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\"Ne confondons pas le mobilier de style louis XIV avec le soleil\"
press [ ]
Angela Furtună s’entretient avec Ion Stratan

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by [angela furtuna ]

2005-11-29  | [This text should be read in francais]    | 



Ion Stratan est parti aux cieux
La mort d’un grand poète roumain


Mercredi 19 octobre, s’est éteint à Ploiesti, le poète Ion Stratan. Il avait eu 50 ans le 1er octobre.
En sa mémoire, je reproduis l’une des dernières interview qu’il a accordée, un dialogue entre nous deux et qui ne date que de deux ans.

NE CONFONDONS PAS LE MOBILIER DE STYLE LOUIS XIV AVEC LE SOLEIL

(Les douze questions à un Poète dans une journée qui s’attardait sur elle-même, suscitant le ré-enchantement du monde par la Poésie)



Angela Furtună s’entretient avec Ion Stratan







Qui peut croire que la littérature roumaine soit le cirque Kludsky ou « le chant dédié à la Roumanie », où un quelconque ivrogne dans la salle crie « jetons-la aux fauves ! » ?




Cher Ion Stratan, vous ĂŞtes l’un des poètes les plus importants de la gĂ©nĂ©ration des annĂ©es 80 dans la littĂ©rature roumaine, un de ceux qui vit encore intensĂ©ment ce rĂŞve/projet littĂ©raire des annĂ©es 80 en tant que genre particulier de voir et de faire de l’art, et pas seulement en tant que gĂ©nĂ©ration. Comment cela se passe t-il aujourd’hui pour un membre des annĂ©es 80 tĂŞtu comme vous ou comme Traian T. Coşovei ? Vous invite t-on Ă  quitter la scène comme le murmurent certaines voix ?

J’ai plaisir Ă  rĂ©pondre Ă  vos questions, chère Angela Furtuna, d’autant plus que vous venez des plans Ă©minesciens de l’esprit et des lettres. Le projet littĂ©raire des annĂ©es 80 dont vous parlez a Ă©tĂ© celui de construire une libertĂ© intĂ©rieure et de faire une sĂ©lection du rĂ©el selon un «corrĂ©latif objectif» (T. S. Eliott), en le pigmentant d’ironie, d’humour, d’intertextualitĂ© et de «jeu». Puisque vous Ă©voquez Traian T. Coşovei je voudrais souligner que la lutte des Ă©crivains non compromis politiquement sous le rĂ©gime de Ceausescu ne doit pas ĂŞtre minimalisĂ©e. A la fin de nos Ă©tudes de philologie, Traian et moi avons Ă©tĂ© professeurs (et…chercheurs) dans des villages Ă©cartĂ©s, personnellement, j’ai Ă©tĂ© travailleur non qualifiĂ© pendant SEPT ANS, parce que j’ai refusĂ© d’être membre du parti communiste. Je n’ai publiĂ© aucun volume et je n’ai pas voyagĂ©, malgrĂ© des invitations aux festivals internationaux de poĂ©sie et des manuscrits dĂ©posĂ©s, entre 1983 (annĂ©e de la parution du livre « cinq chants pour les hĂ©ros civilisateurs » et 1990. Rien après 1990, alors que j’ai voyagĂ© dans UN SEUL PAYS, je n’ai pas touchĂ© un sou d’indemnitĂ© de la part de l’Union des Ecrivains pour mes dĂ©placements, je n’ai pas touchĂ© un sou Ă  la publication d’un seul de mes volumes imprimĂ©s (pour certains, j’ai payĂ© sur mon propre salaire des Ă©ditions particulières ou subventionnĂ©es par l’état, comme par exemple « Air aux diamants »). La rĂ©munĂ©ration de « Contrepoint » a Ă©tĂ© suspendue lors des bonnes annĂ©es, l’Association d’alors (l'Union des Ecrivains) ne soutenant pas la revue dont je suis membre fondateur et d’oĂą je ne voulais pas partir, croyant qu’en fin de compte ce symbole post-totalitaire qu’est « Contrepoint », avec toute son histoire, lui reviendrait. Pour le groupement « CafĂ© salĂ© », composĂ© de paraphrases humoristiques, je recevais ….. 100 lei, alors que, au mĂŞme moment, par exemple, Dinescu recevait pour un article dans la revue « Academia CaČ›avencu » … 18 000 lei par semaine. Je dis tout ceci, car «les suggestions » dont vous parlez sont probablement celles d’imbĂ©ciles stĂ©riles, d’ignares. En 1997, lorsque je critiquais (sur mes propres fonds) dans « Air aux diamants » la poĂ©sie ceausiste asservie, «l’homme nouveau» et la Securitate, ces jeunes n’avaient pas encore appris l’alphabet. Dans une recommandation pour la Fondation Soros, le professeur Nicolae Manolescu Ă©crivait en 1990 : « Ion Stratan a Ă©tĂ©, après « le CĂ©nacle des Lundis » non seulement un poète admirable, mais aussi une personne courageuse, qui n’a pas fait la moindre petite concession au pouvoir communiste.» Si quelqu’un croit que j’ai fait un bataillon disciplinaire, effectuĂ© la facultĂ© sur mes fonds propres (parce que je dĂ©passais de peu le plafond, mais pas assez pour avoir un logement en ville et nous Ă©tions huit dans une chambre au foyer), un travail Ă©puisant de sauvetage lors de tremblements de terre, une besogne agricole, comme stagiaire et que j’ai acceptĂ© le statut d’ouvrier non qualifiĂ© pendant sept ans pour ne pas ĂŞtre membre du parti communiste, que j’ai refusĂ© le poste de membre du FSN pour ne pas ĂŞtre accusĂ© d’opportunisme, et que j’ai ensuite Ă©tĂ© radical envers le dogmatisme, le nationalisme xĂ©nophobe et les manipulations ( qui ont mĂŞme Ă©tĂ© jusqu’à rĂ©clamer mon arrestation en 1992) pour que l’on me demande de « quitter la scène » Ă  45 ans, eh bien, celui-lĂ  est un idiot inculte, un crĂ©tin immoral. Moi, je n’habite pas Bucarest, mais je ne m’installe Ă  la table de personne, je ne vide le verre de personne (pas seulement parce que je ne bois pas), je ne fais pas partie du Conseil et je ne participe pas aux cĂ©nacles, cercles, chaires, bourses, lectures ou dĂ©placements chez personne. Il y a lĂ  une confusion ; un livre ce n’est pas comme une chaĂ®ne de tĂ©lĂ©vision qui entre chez toi, « parce que tu la payes ». Il peut tout aussi bien rester sur l’étagère. MĂŞme en ce moment, alors que je rĂ©ponds Ă  cet entretien, il y a Ă  la tĂ©lĂ©vision Păunescu-Făzănescu Ă  l'esprit dĂ©formĂ© par la dĂ©magogie, dont je critiquais le dĂ©tournement et son asservissement dans la nature de sa poĂ©sie en 1977. Croyez-vous que cette lutte ne soit rien ou presque ? Je ne sollicite aucune rĂ©munĂ©ration pour les vers publiĂ©s, j’ai essayĂ© de ne pas me rĂ©pĂ©ter, et la gĂ©nĂ©ration des annĂ©es 80 dont je fais partie comprend des noms prestigieux comme Liviu Ioan Stoiciu, George Vulturescu, Ioan Moldovan, Traian Stef, Romulus Bucur, Bogdan Ghiu, Ion Bogdan Lefter (qui est aussi poète), Călin Vlasie, Gabriel Chifu, Adrian Alui Gheorghe, Horia Gârbea, Ioan Vieru, Liviu Antonesei, Lucian Vasiliu, Nichita Danilov, Eugen Suciu, Gheorghe Isbăşescu, Octavian Soviany, Marian Drăghici, Denisa Comănescu, Daniel Pişcu, Alexandru Muşina, Dan Stanciu, Elena Ştefoi, Daniel Corbu, Aurel Pantea, Ion Mureşan, Magdalena Ghica, Gellu Dorian, Marta Petreu, Mircea Petean, et beaucoup d’autres que j’ai peut-ĂŞtre omis, par inadvertance, car le terme de l’entretien est … le 15 aoĂ»t. Qui peut croire que la littĂ©rature roumaine soit le cirque Kludsky ou «le chant dĂ©diĂ© Ă  la Roumanie », oĂą un quelconque ivrogne dans la salle crie « jetons-la aux fauves ! ». Opinions d’écervelĂ©s. D’un autre point de vue, je sais que c’est Ă©galement difficile aujourd’hui pour les jeunes poètes. Je lis tous les poètes apolitiques et ce serait le comble , après tout ce qui est arrivĂ©, qu’ils ne supportent pas une critique malicieuse de ma part.

Dès son apparition j’ai salué le mouvement des années 80 comme le rêve américain dans notre littérature, à savoir l’expression de nouvelles matrices représentant une chance de délivrance pour un certain type de culture. Ce fut, vraiment, l’institution de la liberté dans un monde de camps, ce fut aussi la ressource d’une poétique
qui avait proposé un « nouvel anthropocentrisme ». Croyez-vous que ce véritable mode de vie existentiel soit toujours possible ? Il subsistera ?


Le problème avec l’amĂ©ricanisme est nuancĂ©. Moi, j’ai appartenu, si l’on considère votre paradigme, Ă  la branche conceptuelle et syntaxique Poe-Wallace Stevens – Cummings – W.S.Merwin. D’autres ont Ă©tĂ© plus dans la lignĂ©e de Walt Whitman ainsi que dans la continuitĂ© de la « beat generation ». « Le nouvel anthropocentrisme » fait partie des thĂ©ories de Muşina, recommandĂ© chaudement par le critique Al Cistelecan dans ses « lettres de Olanesti » dans la revue « Vatra ». Chère madame Angela Furtună, nous sommes en pleine force physique et crĂ©atrice, certains font aussi de la prose et s’essayent Ă  la critique, et comme vous pouvez le constater, parmi les noms citĂ©s Ă  la première question, nous sommes surtout dispersĂ©s, chacun, selon son grĂ©, avec son style, sa culture et ses opinions. Je crois que l’une des dĂ©finitions de l’intellectuel est comprise dans le syntagme « souffrance pour la forme ». Je me rapproche personnellement maintenant d’une mĂ©taphore d’associations imprĂ©visibles (selon moi), combinĂ©es avec ma vieille syntaxe en quĂŞte de nouveaux symboles, et avec une « nuance » de nĂ©osuprarĂ©alisme.

Ion Bogdan Lefter pense que la gĂ©nĂ©ration des annĂ©es 80 ne reprĂ©sente que le premier moment d’un courant (plus tardif) postmoderne de chez nous. Mircea Cărtărescu dĂ©signe la gĂ©nĂ©ration des annĂ©es 80 comme Ă©tant profondĂ©ment crĂ©ative, uniquement post moderne. Plus encore, Alexandru Muşina recommande (impĂ©rativement) de ne pas identifier la gĂ©nĂ©ration des annĂ©es 80 avec le post-modernisme, sous peine d'annuler son caractère novateur. Quelle est votre version ?

Il n’est pas Ă©tonnant que le postmodernisme ait Ă©tĂ© en relation dès le dĂ©but avec l’architecture. De mĂŞme qu’il ait Ă©tĂ© inclus dans l’espace d’expression amĂ©ricain, il provient (et je ne suis pas adepte d’un mĂ©canisme socio-artistique) d’un monde oĂą le psychologisme et l’intĂ©riorisation de l’auteur dans le modernisme ne « prend » plus. Muşina (qui est souvent Ă©tourdi, comme tous les grands poètes ou bien « il met les pieds dans le plat » de manière inattendue avec de vilaines allusions) a tout Ă  fait raison. La gĂ©nĂ©ration des annĂ©es 80 (au-delĂ  de ma rĂ©serve en ce qui concerne « l’esthĂ©tique » empesĂ©e de Cărtărescu comprenant aussi une « Ă©thique » sur mesure, avec des commĂ©rages, de l’opportunisme et de la mĂ©galomanie, sans avoir l’air de rien) fut Ă©galement une mosaĂŻque, un puzzle, un « mixtum compositum » de formes (discours, citations, citadinisme, dialogues, etc…). Chacun son choix.

En revisitant la poésie stratanienne, en retrouvant la musicalité, le pictural, la réflexivité et « le ludisme dans le jardin du métaphysique » qui vous caractérise, il me semble deviner un fil existentiel quasi continu qui avertit du « retour du tragique comme étant la marque de l’existence vécue sous le signe de l’éphémère ». Vu sous cet angle, vous pouvez vous livrer, en accord –éventuellement- avec un théoricien comme Michel Maffesoli, à une poétique qui projette avec nonchalance un monde d’idées postmodernes dans une «synergie entre archaïsme et développement technologique» ?

Votre question est intelligente tout comme la poésie que vous écrivez, et vous découvrez avec raison ce parallélisme. J’ai éprouvé dans le cycle « Le cimetière de voitures » qui réapparaît dans certains de mes volumes le double impact dont vous parlez – « La dégradation du tragique / l’époque technique »

Une fois, vous avez critiqué âprement (et à juste raison) ceux (ô combien nombreux !)qui font des allergies au sublime, ceux faits uniquement pour que cela fonctionne, un point c’est tout. Vous ne cessez pas d’être (alchimiquement) intéressé par ce « glutinum mundi », ce levain ajouté à la pâte du monde qui fait que quelque chose de cohérent, et donc, bien supérieur à « rien », ressuscite les flux vitaux des forces d’attraction. Croyez-vous que la poésie ainsi poussée à l’extrême (tout comme Mircea Eliade la pousse également, n’est-ce pas ? « Restons poètes jusqu’à la mort, quoi qu’il nous arrive »)peut contribuer au ré-enchantement du monde ?

Chère poétesse, le paradoxe essentiel dans la poésie est, à mon avis, que l’on « parle » en termes « spéciaux » – rhétorique, rythme, rimes, métaphores – de quelque chose d’extrêmement profond dans l’être, quelque chose d’irremplaçable en tant qu’expérience dans le sacré et dans l’être humain.

Ce que je ressens dans chacun de vos livres, à partir de «La sortie hors de l’eau»(1981), jusqu’à «La bibliothèque de dynamite» ou encore «La croix du verbe», c’est le rythme, de plus en plus fougueux, et par endroits faussement immobile. Chez les Grecs, ce rythme pouvait être considéré comme un mouvement partant d’un point fixe, ainsi que nous l’assure W. Jaeger. Est-ce pour ce motif que le compositeur, pianiste et chef d’orchestre George Balint a écrit, sur vos vers, de superbes lieder pour soprane, violon et piano Turle I,II, III ?
En quoi cette expérience vous a t-elle enrichi ?


Je n'Ă©tais pas au courant de cette entreprise artistique. Je vous prie de me mettre en relation avec ce sympathique artiste pour le remercier et Ă©couter son Ĺ“uvre.

J’ai Ă©coutĂ© avec beaucoup d’attention ce que vous avez dit lors de l’interview en juin, diffusĂ©e par Radio România Cultural. Vous y avez affirmĂ©, Ă  juste titre, que certains des oppresseurs les plus acharnĂ©s (sans faire de critiques) de la gĂ©nĂ©ration des annĂ©es 80 sont des poètes de gĂ©nĂ©rations antĂ©rieures, gĂ©nĂ©rations qui ont joui de quelques privilèges sous la dictature, puisque je me souviens au moins du fait que la parution de ces volumes leur apportait quelques revenus et que la distribution de ces livres, qui allaient jusque dans les librairies et bibliothèques d’état, se dĂ©roulait de manière Ă  peu près impeccable. Emplie de ces considĂ©rations, je me suis rendue dans quelques bibliothèques municipales et dĂ©partementales. Je n’ai trouvĂ© que de rares volumes de Ion Stratan, de Mariana Marin, de Traian T. Coşovei ou bien de Liviu Ioan Stoiciu. Tout au moins, dans votre cas, après 1990 (lorsque vous ĂŞtes entrĂ© aussi dans l’Union des Ecrivains) il n’existe nulle part de volume dans les bibliothèques que j’ai visitĂ©es en province. Le fait est grave. Par comparaison, les poètes des annĂ©es 60, par exemple, mĂŞme ceux qui sont minoritaires, s’étalent avec opulence sur les Ă©tagères. Que faudrait-il faire ?

Allons, ne soyons pas naĂŻfs. Le problème est que, en plus des poètes des annĂ©es 60 (parmi eux, je ne dĂ©teste que Păunescu – Făzănescu ainsi que Ion Gheorghe, au cĂ´tĂ© d’autres « chantres » du dictateur et du parti) , les trois poètes des annĂ©es 80 que vous citez ont pu publier entre 1980 et 1990. C’est pourquoi on trouve leurs livres dans les bibliothèques, qui firent alors l’acquisition de ce qui se publiait, c’était sous un autre mandat, avec d’autres servitudes, d’autres avantages. Il aurait fallu faire la loi pour les sponsors, il aurait fallu faire une loi sur les livres, il aurait fallu acquĂ©rir des livres non compromis, cotĂ©s par la critique…il aurait fallu dĂ©cerner des prix en numĂ©raire aux poètes pour qu’ils achètent Ă©galement des livres (la littĂ©rature vient aussi par la littĂ©rature), pour qu’ils voyagent selon leur inspiration, qu’ils puissent payer un Ă©diteur, qu’ils puissent organiser des lancements de livres…

Vous avez Ă©tĂ© ami avec Nichita Stanescu, dont vous avez fait la connaissance grâce Ă  Traian T. Coşovei qui vous a prĂ©sentĂ© comme un « querelleur ». Plus tard, en 1989, au festival « Nichita Stanescu »,il n’empĂŞche que vous, Sorin Dumitrescu et Eugen Simion avez dĂ©ployĂ© de grands efforts pour maintenir vivant l’intĂ©rĂŞt face Ă  l’œuvre de Stanescu, et l’on ne vous a mĂŞme pas permis de prendre la parole. Que s’est-il passĂ©, qu’est-ce qui a dĂ©rangĂ© dans votre manière de faire de la culture diffĂ©remment ?

Nous étions en 88-89. Il régnait une grande tension. Par exemple, à la bibliothèque où je travaillais, je pouvais faire une « sélection » orientée vers les créations des jeunes qui fréquentaient le cénacle de la bibliothèque, mais on ajournait leur impression « sine die », car on soutenait que « Stratan se fourre le doigt dans l’œil » (excusez l’expression). En 1989, j’ai lu dans la salle de lecture de la bibliothèque des poèmes ouvertement orientés contre les patrouilles de rue et ce, dans une atmosphère totalement ceausiste. Après 1989 j’ai été nommé au FSN, mais je ne m’y suis jamais rendu, pour ne pas être considéré comme un opportuniste. Je voulais écrire, voyager… Mes communications traitaient de Maître Eckhardt ou Husserl, cela n’a pas plu…

Je veux vous surprendre avec une question des plus difficiles, même si je sais que rien ne peut surprendre un ludique. Qu’est-ce que la poésie pour vous, Ion Stratan ?

La seule chose que nous sachions sur la poésie, c’est qu’on ne peut pas la définir. Cela, c’est la définition de la poésie.

Je pressens que de la période avec Nichita Stanescu, il vous est resté pour le moins ce superbe « avoir un ami, c’est comme si tu avais un ange ». Vous avez des amis ? Je ne veux pas paraître indélicate, mais je veux savoir pourquoi meurt sous nos yeux l’institution de l’amitié, pourquoi nous sommes aliénés dans un monde qui semble déterminé à tous nous absorber dans ses presses civilisatrices, d’où ne ressortent finalement que des clones au sourire métallique de créatures hybrides de consommation ?

J’ai des amis. Mon meilleur ami est mon Ă©pouse, la poĂ©tesse LetiČ›ia Ilea. Sa manière de penser, d’écrire, et son charme, supplĂ©ent le nombre restreint des compagnons d’idĂ©es, la raretĂ© des rencontres avec eux due au rythme trĂ©pidant de la vie actuelle (l’essayiste Bogdan Stoicescu, le critique Nicolae Boaru, le romancier Ştefan Tomşa). Tous les artistes que j’admire, sur lesquels j’ai Ă©crit, que j’ai citĂ©s, ou auxquels j’ai dĂ©dicacĂ© des vers, je les considère en mon for intĂ©rieur comme des amis. MĂŞme si je ne les rencontre pas, je peux moi aussi dire comme cet Ă©trange type allemand (C’est ainsi que le considĂ©rait Noica) – il est question de Nietzsche (mĂŞme si je ne suis pas tout Ă  fait d’accord avec lui) – AIME-LES DE LOIN. Et pour vous paraphraser, ces « presses » uniquement « civilisatrices » n’existent pas. L’amour, l’attraction spirituelle et physique dans le monde (Ă©galement du fait du SIDA) la crĂ©ativitĂ©, la comprĂ©hension, la paix, la tolĂ©rance, le bien-ĂŞtre matĂ©riel, disparaissent dans l’effort et le sacrifice. Le totalitarisme existe, ainsi que l’envie dĂ©mesurĂ©e de pouvoir, la haine, le manque de libertĂ©.

Malgré de nombreuses attaques contre la poésie, (et vous voyez les positions de ce cher Ion Simuț, qui a débordé en touche les polémiques élégantes, sans être sifflé par l’arbitre)je continue à croire en la superbe poésie que font les poètes roumains. Pouvez-cous me donner votre point de vue sur cet extraordinaire phénomène (qui au bout du compte, devrait fournir un produit roumain d’élite à l’export, si nous ne nous heurtions pas à l’étroitesse obtue des autorités et des apparatchiks de la culture qui gouvernent, de fait, des politiques qui freinent, voire même qui assassinent les hommes de culture et d’art en les marginalisant, en ignorant leurs produits -véritables richesses du patrimoine national- et en se moquant des valeurs.

La poĂ©sie est un risque ontologique et une aventure de l’expression. Les grands poètes roumains (les « classiques » que j’aime Mihai Ursachi, Cezar Ivănescu, Serban FoarČ›ă ou Petre Stoica) ont Ă©galement assumĂ© cette condition.

Je sais que Ion Stratan a davantage mis l’accent sur l’innovation de sa propre poétique. Sur quoi travaillez-vous, quels sont vos projets futurs, et finalement, sur quoi concentrez-vous votre esprit poétique pour continuer, avec charme, sur cette voie de l’excellence dans la poésie roumaine ?

Le changement d’ «artifices » de la rhétorique fait partie non pas d’une inconscience stylistique (le paradigme est le même), mais d’une morale régénératrice. L’acceptation d’un nouveau livre est un effort de la part de l’éditeur, et je propose à chaque fois une alternance apollonienne/dyonisiaque sur mes réflexions sur le monde. Les sujets ont été le symbolisme aquatique ( « Sortie hors de l’eau », « L’eau molle », « Le lavage de l’eau »), le mystère thanatique (« Un bon jour pour mourir », « Mieux que la mort »- volume auquel je tiens beaucoup, paru aux éditions Axxa de Botosani qui prépare une deuxième édition, également « Ceux qui sont morts ». Enfin, la transfiguration de la lumière dans les volumes « Lux » et « Lumière du feu ». J’ai remis le volume « La vitesse de la vie » aux éditions Dacia il y a maintenant un an, et récemment le manuscrit « Pays disparu » aux éditions « Noul Orfeu » de monsieur Munțiu, dont le rédacteur littéraire est le dramaturge et poète Horia Gârbea. Le « charme » est une notion relative (il existe un « jésuitisme » dans cette notion) cependant la gravité du fait d’écrire actuellement n’exclue pas l’aspect ludique en tant que catégorie esthétique, mais en l’intégrant, en le dépassant, je crois, avec maturité…

(Traduction : Nicole Pottier)

***

Notes :


Ion Stratan était né le 01 octobre 1955 à Izbiceni. Il avait passé toute son enfance à Ploiesti, puis s’était rendu à Bucarest pour effectuer des études de lettres. Il était revenu vivre à Ploiesti. Ces dernières années, gravement malade, souffrant de difficultés respiratoires (on lui avait pratiqué une trachéotomie) il vivait seul, entouré de ses livres. Il était divorcé depuis un an de sa deuxième femme, la poétesse Letiția Ilea.
Il fut membre du « Cénacle des lundis », professeur de 1982 à 1985, ensuite bibliothécaire jusqu’en 1990. Cette même année, il était nommé directeur adjoint de la revue « Contrepoint », éditée par l’Union des Ecrivains de Roumanie.
Il a publié de la poésie, des essais, des critiques littéraires, des traductions et bien –sûr, des articles politiques. Il a obtenu le Prix de l’union des Ecrivains en 1993, ainsi que le Prix Mihai Eminescu de l’Académie Roumaine en 1995.
Ion Stratan s’est poignardé dans son appartement de Ploiesti le 19 octobre 2005, deux semaines après le décès de sa mère. Il était l’une des personnalités les plus marquantes et les plus attachantes de sa génération, et à l’annonce de sa mort, tous lui ont rendu un hommage unanime.

Paru en français :
La roulette russe, éditions Créaphis, 2002.




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