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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2005-04-24 | [This text should be read in francais] |
Voici le contexte des intellos, en nouvelle et sous une forme de conte humoristique (-:)
***************** L'ombre portée …Et Signore Nacali se leva. Il demanda si quelqu'un de l'assistance voulait poser quelque-question-que-ce-soit-sur quelque-sujet-que-ce-fût. Suivit un silence de terreur puis un intellectuel barbu osa balbutier: - Signore Nacali... Il mit sur le tapis une problématique freudienne si complexe qu'il ne se comprenait pas lui-même. Illico, avec la plus grande aisance, il Signore Nacali lui signifia quelle question il avait voulu poser et lui apporta la réponse tant espérée. Les mots fins jaillissaient de ses lèvres comme un collier cristallin et baroque. Des séquences aussi comptées que les pas d'un chat effleuraient les crânes nus de l'assemblée. Aisance! Aisance! Aisance? S'ils avaient su, ceux de l'intelligentsia, quelle terreur cachait cette maestria! S'ils avaient soupçonné sous la volubilité et la ferveur nacalienne sa terrible infirmité! Car si la moitié de la vie du grand homme était d'accoucher de sa gloire, l'autre moitié était de mettre son secret à l'ombre. "Mettre à l'ombre" est le mot juste car le noir châtiment de son âme était justement son ombre qui, à force d'entendre parler liberté d'esprit avait décidé de s'y mettre à son tour en prenant à la lettre les exhortations de son illustre psychanalyste. Quand Nacali s'envolait en supputations de haute voltige, quand la salle se pâmait sur les velours rouges, quand chaque esprit était le cerf volant du souffle nacalien, c'était moins, ô grand homme, pour consolider ta gloire acquise que pour cacher les frasques de ton ombre qui, par définition eussent été publiques. Ainsi certains soirs, comme Nacali haranguait une académie de Rotterdam, debout, les mains en "mixer à idées", son ombre assise s'endormit d'ennui. Les ailes du génie battaient si fort aux bras de l'illustre que personne ne se rendit compte de l'événement honteux que cachait l'estrade. Aucun anti-nacalien ne cria: "Et pourtant, elle dort"! Ce fut pire quand Nacali heurta la table de son poing, frappant les mots comme on forge, jetant l'esprit en bouffées d'étincelles alors que l'ombre, projetée sur la toile derrière son dos, gardait obstinément les bras croisés. Nacali, heureusement, sentait d'instinct quand sa sœur noire tournait mal. Il avait le génie de couvrir ses arrières. Ô vie qui semblait paisible comme une boutonnière de notable, tu n'étais donc que combat avec un double obscur! On peut certes dire qu'il en est ainsi de tout ce qui pense, mais pour Nacali son ombre était privée et non métaphysique. Ses seuls moments de paix, il les trouvait quand elle se défilait, quand elle se mettait à l'ombre, dirions nous, si nous n'avions peur parlant d'un tel homme, de faire un calembour aussi pauvre. Mais, hélas, ces jours là , le cheval spirituel de l'Illustre perdait son fouet. Sa mouche philosophique ne poussait plus son coche. Heureusement pour l'humanité, l'ombre ne supportait pas longtemps de perdre son homme. Elle s'étiolait sans lui comme une femme de culture, si elle égare ses lunettes, se voit réduite aux commérages. Cet équilibre précaire bascula avec l'âge. Nacali, de plus en plus installé dans le fauteuil de la célébrité se rangea. Son ombre en conçut une sombre amertume, une jalousie maladive "de classe". Le géant écopa d'une ombre de concierge. L'infirmité, c'est fatal, devait finir par être mise à jour. Ce fut à Milan, dans la Stella Majore dell'piccolo. Sous le feu des projecteurs, en pleine envolée, Nacali vit les yeux des auditeurs le quitter pour se diriger vers le pompier de service. L'ombre l'avait abandonné pour faire au brave fonctionnaire casqué...devinez? Les cornes immenses de Wotan. Allegro ma non troppo, puis dacapo furioso! Nacali, fou de rage, la gifla avant de botter ses fesses noires à grands coups de souliers vernis. Heureusement, la gloire du psychanalyste libertaire était si tangente au zénith que l'assistance galonnée et cravatée pensa que faire le pitre dans ce salon mondain ne pouvait être qu'un pied de nez supra mental, une bouffonnerie "psy" géniale. Mais l'alerte avait été si chaude que l'intellectuel, faute de pouvoir faire entendre raison à cette pauvre infirme noire, la sienne hélas, décida de la perdre. Il choisit d'accomplir ce méfait en plein désert des Pouilles, où il disposerait dans la solitude d'un grand décor, digne en tout point de la tragédie unique qui s'allait perpétrer. Il pensait aussi que ce paysage rude et sublime donnerait à cette querelle de ménage, pour peu qu'elle devienne sujet de publication, un parfum titanesque. Nacali monta donc sur un pur sang de louage pour se diriger vers les collines pelées du Tartiglio. L'ombre, qui avait une sainte horreur de la canicule, marchait à côté du bourrin quand ils croisèrent un brave paysan endormi sur sa mule. C'était bien la première fois que cette pauvre mule voyait l'ombre d'un cheval le suivre à pied. Elle en fit un écart qui réveilla le muletier. Nacali ne trouva aucun discours pour convaincre le brave homme que son ombre avait de ces perversités, et l'empêcher de s'enfuir en suppliant toutes ses "Madones". Arrivés enfin sur une plaine aussi sèche que la tartine du pauvre, Nacali fit son grand coup. Volte-face subite suivie d'un coup d'éperon pour emballer la bête. Il ne tarda pas à être débarrassé de l'ombre qui n'avait pour courir que ses pauvres jambes bleues. Notre grand homme, enfin libre, allait entrer dans la première auberge quand sur la vitre embuée, il vit un doigt noir tracer: ! IOT EIFEM que son intelligence inversa aussitôt. Une ombre s'interposa, la sienne, et c'est elle que traversa le plomb du méchant tenancier. Impossible désormais, pour un homme d'une telle stature morale, de se débarrasser d'une suiveuse à qui il devait la vie. Il convenait de traiter au plus vite. Il s'assit sur une pierre, en posa une autre à l'inverse du soleil pour avoir son ombre en face et dit: - Je te propose un marché. - O K, fit l'ombre. Moi aussi. - Nous nous adresserons tantôt l'un tantôt l'autre au public. Ma bouche dira ce que tu voudras quand ce sera ton tour de parole, mais quand ce sera le mien, en toute circonstance, tu te comporteras en ombre fidèle. Tes mouvements seront les miens, sans la moindre originalité, et quels que soient tes sentiments. - C'est justement ce que je voulais te proposer. Et Nacali de penser: "Je peux bien me permettre une fois sur deux de dire des sottises, pourvu qu'on m'écoute sans être distrait par "l'autre" quand ce sera mon tour de parler." Pour le premier congrès à la Schola Freudica de Brindisi, ce fut au tour de l'ombre de dicter son discours à son maître. Elle n'éprouva ni gène ni peine à lui faire proclamer, avec un prodigieux brio, l'inverse de ses théories. Un tonnerre d'applaudissements couvrit la fin de la péroraison. Nacali, (ou son ombre?), furent faits Doctor (es) de l'Academia Brindisia, et personne ne se douta à quel point les paroles nacaliennes avaient été ce soir là étrangères au grand homme. Ce fut comme si, pressant un citron, on avait obtenu du "ketchup". Le chagrin et la honte solitaire de Nacali furent poignants. Il venait lui-même d'assurer le triomphe des idées anti nacaliennes! Le lendemain, sur la même estrade, en discours de clôture, il décida de démolir les propos de l'ombre de la veille, tout en la surveillant du coin de l'oeil. Elle fut exemplaire, ne pipant mot et remplissant son contrat d'ombre si parfaitement que ç'en était touchant. Et comme la veille, un triomphe! Cette fois, le savant flancha. Il ne savait plus ni qui il était ni où il en était de ce qu'il avait cru être. Pour s'exprimer plus simplement comme il avait l'art de le faire: "sa sensation de conviction, relative à la justesse des conventions construites avec cette ombre n'étaient plus éveillées en son en-soi qu'une fois ce transfert résolu, mais le contre transfert s'avérait impossible. (Die Richtigkeit des Konstruierten Zusammen länge) Milan, Genova, Padoue! A Assise, Nacali n'était plus qu'un pantin dont les gestes s'efforçaient de précéder les mots de l'ombre. On se battit pour entrer dans la salle, puis notre Illustre fut porté en triomphe, ô ironie, jusqu'à l'hôtel Sole Mio. Le groom déclara à la presse qu'il l'avait vu pleurer entre les bras d'une sorte de veuve noire. Propos que les post-mortem-up-to-date rapprochèrent de la célèbre visite à Mozart mourant. Nacali abandonna cette terre ingrate sans l'ombre d'un regret. Comme le ciel restait bouché sur toute l'Ombrie, son ombre ne suivit même pas le cortège funèbre. Le discours, déjà insipide, fut déclamé par un disciple. Sur la tombe du grand penseur, si vous passez par Assise, vous verrez gravée la plus célèbre réplique de Nacali: - Maître, vous m'aviez bien dit " Tout n'est rien"? - Je n'ai jamais rien dit. Que ce soit tout. Depuis ce temps, un saule pleure sur ces grands mots qu'une ombre ténue caresse éternellement. |
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