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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2014-11-18 | [This text should be read in francais] |
Il y a quelques années (peut-être 5 ou 6 ans, je ne sais plus), Nicole Pottier nous avait offert, en mémoire d’Yves Heurté qui venait de décéder, une sélection de ses poèmes et quelques notes biographiques pour présenter l’auteur et l’homme à ceux qui, comme moi, n’eurent pas la chance de le croiser sur la section française d’Agonia, à laquelle il contribua épisodiquement. J’avais vainement tenté, mais trop tard, de lui écrire (ignorant sa disparition) après avoir lu son recueil de poèmes joliment édité chez Cheyne « Bois de mer », où il avait trouvé les mots et la bonne distance pour faire résonner une parole poétique sans mièvrerie aux oreilles de jeunes lecteurs.
J’ai ensuite lu « Dans la gueule d’ombre », recueil au ton grave qui évoquait l’Holocauste. De tous les écrivains qui ont fréquenté Agonia, Yves Heurté est sans doute le seul à avoir eu les honneurs d’une publication dans la célèbre collection blanche nrf/gallimard pour son roman « La ruche en feu » (même si je ne sous-estime pas les autres éditeurs !). En complément au bel article de Nicole Pottier, je vous propose ci-dessous une recension et un commentaire de lecture de ce roman où Yves Heurté a sans doute mis beaucoup de lui-même car l’action, qui se déroule pendant la Libération, met en scène un jeune soldat perdu dans les bocages normands autour de la ville natale d’Yves Heurté (Marigny). Ayant lu quelques extraits du journal entretenu par Yves Heurté quand, encore à peine adolescent, il osa (sous l’impulsion d’un militaire allemand !) des actes de résistance, il ne fait aucun doute que ce roman exorcise les souvenirs enfouis dans sa mémoire et les traumatismes des affrontements, qu’il a restitués dans son roman avec toute leur complexité humaine. Yves Heurté a raconté qu’aucun éditeur ne souhaita publier ses souvenirs d’adolescence car il évoquait trop ostensiblement le rôle des Allemands hostiles à Hitler (actifs bien avant 1944 !) et écornait l’aura des forces françaises en évoquant quelques assauts inutiles dont le but était simplement de permettre à certains « chefs » de s’assurer qu’ils seraient bien célébrés comme des héros de guerre… Pour le jeune Yves heurté, les véritables héros de la guerre, qui le marquèrent durablement puisqu’il choisit d’être médecin, sont les infirmiers et les infirmières qui se dévouaient auprès des victimes des combats, souvent sans tenir compte de l’uniforme.
Yves Heurté évoque ainsi un jour de bataille où les soldats des FFI rendirent les honneurs militaires à des infirmières allemandes qui, pendant l’assaut mené contre un blockhaus pendant la campagne de Libération, avaient soigné les blessés des deux camps…
Ce journal d’adolescence exprime aussi, comme une sorte de profession de foi, la vocation poétique d’Yves Heurté. Je vous recopie ci-dessous les mots qu’il écrivit à 18 ans, admirables de confiance et de force dans une époque troublée (son journal est plein d’anecdotes cruelles) : *********** Il faut recréer en notre époque une force de méditation qui a disparu. Un idéalisme profond basé sur l'amour du beau, du beau de partout. A la fois intuition et logique, sensibilité, force de caractère par l'esprit critique. Créer des poésies simples et pures avec une forme aussi simple et pure. Je veux quelque chose qui n'a jamais été fait ou qui a été perdu en poésie : un amour pour tous les instants de la vie. Le poète ne doit pas faire une île ou une chapelle mais doit garder une grande liberté de style et d'expression, de choix dans ce qu'il chante. La poésie n'est qu'une rupture sincère profonde et pure. ************ 1. PRESENTATION DE "LA RUCHE EN FEU" Le roman est le récit halluciné et cruel des derniers jours d’un jeune soldat français (Soueix), dont le char a été détruit dans le bocage normand. Soueix est un jeune apiculteur originaire de Tarbes, qui s’est engagé dans l’armée de Patton. Yves Heurté ne le décrit ni en héros ni en victime ; il cherche simplement à nous faire pénétrer les pensées d’un jeune homme grièvement brûlé, qui agonise dans la folie des combats, et titube de place à place. Son écriture est subjective à la 3ème personne : elle porte la voix intérieure de Soueix et non celle de l’écrivain, qui évoque ainsi le moment où Soueix se regarde dans un miroir après avoir été soigné par une infirmière allemande : « On y voit un Soueix propre, enroulé de bandes, pansé à faire chialer d’attendrissement. C’est l’hosto, ici ! Un drôle d’hosto, mais un hosto ! » A d’autres moments, pourtant, Yves Heurté assume son statut d’auteur omniscient, maîtrisant le destin de chacun des personnages et capable de révéler au lecteur leurs peurs et leurs pensées intimes. Mais cette divulgation n’est jamais neutre : Yves Heurté, avec des images choisies, assène sa vision de la guerre. Il décrit ainsi la lente progression des soldats américains investissant la cour d’un château déserté par les troupes allemandes : « On les avait poussés dans cette arène, picadors dérisoires, pour tâter la bête cachée et savoir comment elle tuait, tandis que le char, matador plein de superbe, observait en retrait. Ses ferrailles graissées valaient mille fois le prix de leur pauvre poids de chair et d’os ». Avec ce style étrange mi-subjectif mi-objectif, le récit s’embrouille parfois, voire semble présenter quelques incohérences qui ne permettent pas de faire naître spontanément des images mentales ou troublent la progression des évènements (ex : quand Soueix est loin du moulin, une bribe de phrase ou un verbe semble dire qu’en fait il est tout près – à un autre moment, Soueix songe à une femme « à plat ventre sur le lit en train de se peindre les ongles des pieds », ce qui n’est pas une position commode…). Mais peut-être ces incohérences ne sont-elles que le reflet de la confusion des sens et des souvenirs de Soueix… On a aussi l’impression que le récit, qui se déroule pourtant sur plusieurs jours, baigne en permanence dans une lumière d’aube sale suspendue entre le jour et la nuit, comme si le soleil ne se levait jamais... Dans cette atmosphère lugubre, la prose d’Yves heurté s’ouvre à une poésie tragique, dénuée de tout lyrisme mais aux images fortes et oppressantes : « L’aube s’annonce. Elle suinte entre les herbes et ses cravates rouges se nouent autour du moindre buisson. Ce n’est pas une aube gaie mais un fruit pourri, l’ombre rouquine d’une lune triste » « Il n’entendait qu’un bruit d’eau vivante, dans l’agonie des pierres et des cendres ». Le roman n’explique rien : c’est un bloc de sensations brutes dans un paysage de terre et d’eau, détruit et remodelé par la guerre où tentent de survivre quelques hommes et femmes dont aucun ne sortira indemne de l’immense ordalie de la Libération par les chars de Patton. A chaque instant, Soueix est assailli de souvenirs, qui remontent par bouffées qu’il ne peut contrôler et se superposent aux lieux qu’il traverse comme un fantôme et aux êtres qui semblent tous des morts en sursis. La souffrance physique infligée aux hommes mais aussi la violence faite à la nature et aux animaux est omniprésente dans le récit, dès les premiers mots qui ouvrent le roman : « Soueix vit sa main dans l’herbe. Au bout des doigts bitumés, les ongles saignaient. Des bestioles s’agitaient autour du poignet, dérangées par le va-et-vient du pouce » Seule la mort sera délivrance. Le roman s’achève ainsi : « Il tomba à genoux. Une multitude de lumières tourbillonnèrent au-dessus des maisons. Elles montaient en plein ciel, folles de joie, comme un essaim de printemps » 2. RECENSION DE "LA RUCHE EN FEU" (à ne pas lire, bien sûr, si vous souhaitez lire le roman) Le roman se divise en 3 parties distinctes, séparées par des évanouissements de Soueix. * Partie I : Le moulin Soueix se retrouve brutalement le seul survivant d’une attaque au lance-flamme qui a brûlé tout l’équipage du char quand la chaleur du brasier s’est engouffrée par la ventilation. Abandonné sur le terrain par la colonne qui progresse le plus rapidement possible, il parvient à tituber, pour échapper à l’incendie né du char en feu, jusqu’à la margelle d’une mare. Tout en buvant, il regarde, avant de s’évanouir, les flammes envahir deux ruches artisanales et assiste au sacrifice des abeilles pour sauver leur reine en formant une boule compacte autour d’elle… Revenu à lui, il rampe jusqu’à la silhouette, qu’il devine dans les buissons, de son ami d’enfance Maï, qui était parvenu également à s’extirper du blindé. Mais Maï n’est plus qu’un cadavre parcouru d’insectes... Ne conservant en souvenir que le briquet et le carnet noir sur lequel Maï griffonnait des poèmes dont il aimait se moquer, Soueix gagne péniblement, au milieu du marécage dans lequel il patauge, une sorte d’îlot avec un moulin et un chêne évidé abritant insectes et oiseaux, dans lequel il décide de se cacher. La présence de la guerre n’est plus que la rumeur grondante d’un orage lointain parcouru d’éclairs… lorsque soudain le bocage est bombardé d’obus qui tombent avec un bruit mat de ballots de linge mouillé. Comme s'il avait été revigoré par les explosions qui cessent brutalement, il trouve la force de s’ausculter et de retirer de son visage la bakélite fondue du périscope du char. Outre sa main blessée, il se découvre seulement quelques plaies et des cloques au torse et se décide, sous l’impulsion de ses souvenirs de Lybie (une guerre pure dans un paysage réduit à l’essentiel), à rejoindre les lignes de Patton. C’est alors qu’il est surpris par une vieille femme venue ramasser des écrevisses. Après avoir dit à Soueix qu’elle l’observe errer depuis presque deux jours, elle l’invite à la suivre dans le moulin endommagé, où elle vit avec une adolescente d’origine tzigane, qui est la fille d’une relation de son neveu avec une gitane. Lorsque celle-ci est tombée enceinte, les gitans leur ont amené l’enfant en leur demandant, sous peine de châtrer le père pour qu’il ne recommence pas, d’assumer la paternité. La fille, nommée Jivi, a grandi dans une ambiance de tendresse mais, peut-être par atavisme maternelle, elle rêve désormais de liberté. Jivi a été blessée par l’effondrement du toit alors qu’elle était cachée au grenier ; elle dépérit progressivement car la vieille, qui demande l’aide de Soueix, n’ose aller à la ville (Marigny) pour faire venir un médecin. Tour à tour, Jivi invective la vieille et Soueix, lui reprochant d’être un « loup » comme tous les soldats. Maudissant la lâcheté crasseuse des paysans planqués pendant que d’autres se battent et meurent, Soueix, qui souffre de ses douloureuses brûlures (les pustules commencent à couler), quitte les deux femmes et repart vers la carcasse du Sherman. Il rencontre alors un vieil allemand, aux lunettes de professeur et à l’air hagard, qui semble être devenu fou : errant autour de l’épave du char, il se met soudain à embraser des meules puis s’enfuit quand Soueix, assailli de souvenirs et de cauchemars d’enfance, commence à le frapper. Quand Soueix retourne au moulin, Jivi est seule. Elle lui parle avec passion de sa vie au lycée, de ses envies d’école buissonnière et s’irrite de l’indifférence cynique de Soueix, qui parle de la guerre et s’endort en songeant que ses blessures, comme celles d’Anao (un marin qui avait barboté dans une nappe de mazout après avoir sauté sur une mine en rade de Brest), sont souillées d’huile et qu’il peut en crever… A son réveil, en pleine nuit, il observe Jivi qui dort péniblement… Elle se réveille à son tour et lui dit qu’il a le regard fou. Alors il part dans la nuit. Suivant les traces laissées par les chars, il gravit des bosses labourées par les chenilles et tombe sur des épaves incendiées parsemées de cadavres. Epuisé par l’effort, il se met à délirer, songeant à la mort frôlée de nuit à Oisans en traversant un glacier que ses amis avaient contourné par la moraine. Il s’était mis à réciter une litanie sans fin de syllabes pour se donner la force de s’extirper d’une crevasse alors que le froid engourdissait ses muscles et ses poumons. Soueix continue à marcher péniblement lorsqu’il s’aperçoit qu’il a tourné en rond en suivant les traces de son char. Il retombe alors sur l’allemand fou, qui se met à courir vers le moulin. Soueix le poursuit, dans un délire, puis tandis qu’ils boivent tous deux à la mare comme des animaux, Soueix roule sur lui et le noie en lui maintenant la tête sous l’eau… * Partie II : La ferme Soueix se réveille sur la paillasse d’une charrette, après avoir été ramassé dans le marais par des paysans. Il se souvient vaguement de la destruction de Marigny par l’armée de Patton puis des flammes envahissant son char. Dissimulé sous une bâche et bringuebalé par les cahots du chemin tandis qu’une adolescente veille sur lui, il ouvre au hasard le carnet de Maï, dernier souvenir de son ami mort, puis s’en débarrasse et regrette aussitôt son geste. Ma tête est légère. Le vent de la nuit La fera tomber. Qui se baissera Pour la ramasser ? Mon prochain : personne… Le paysan lui parle en déplorant une guerre faite par des loups déguisés en gamins, alors que l’autre (la 1ère GM) était faite par des hommes. Il lui explique qu’ils n’ont pas fui les combats en espérant que le passage de la ligne de front leur permettrait d’avoir la paix. Ceux qui sont partis se retrouvent sur la route avec les Allemands reculant devant l’avancée de Patton et vont ne cesser de se faire bombarder. Soueix l’écoute passivement, songeant à l’espèce de viol qu’il avait commis il y a 3 ans sur Ruth, une jeune fille juive affolée, et, songeant à Jivi (dont il a oublié le nom) demande simplement s’il y a un médecin à Marigny. La charrette s’immobilise enfin dans la cour d’une petite ferme. Soueix y découvre un vieux juif (M. Hirch), qui part aussitôt en courant se cacher dans une grange. Soueix titube jusqu’à la cuisine, où il est accueilli par une vieille femme qui lui explique, avec un fort accent paysan, comment se cacher dans le cellier, avec M. Hirch, en cas d’arrivée des Allemands. Tandis qu’elle soigne ses brûlures, elle demande à Soueix, qui pense toujours à Ruth et aux ruches, le prix des bombes utilisées contre les troupes allemands et s’étonne, comme d’une incongruité, que la bombe qui pourrait détruire leur ferme coûte plus chère que la ferme… Lassée des bavardages incohérents de Hirch qui les a rejoints, et qui évoque tour à tour la Bible, la Bête du Gévaudan en se moquant malicieusement d'elle, la vieille femme sort et les laisse discuter. Hirch lui raconte alors ses deux ans d’enfermement dans cette ferme où il dépérit depuis qu’il a fui son cabinet médical, en oubliant ses lunettes, tandis que la Gestapo était venue le chercher. Après un long cache-cache, il a été hébergé par ces paysans qui escomptaient profiter de la fortune du vieux médecin juif, hélas plumé ! Hirch et Soueix, qui se sont installés sur un banc au jardin, voient alors arriver le facteur sur une motocyclette bricolée ; il leur donne des nouvelles des Américain, qui reculent après avoir bombardé Marigny. Soueix apprend ainsi la mort de la vieille du moulin, qui était venue chercher le médecin (mort également). Ceux qui peuvent évacuent. Ne reste à Marigny, parmi les notables, que l’instituteur… Les paysans, qui craignent une arrivée des Allemands, disent à Hirch et Soueix (qui songe que ses camarades meurent pour que les paysans puissent faire leur foin) d’aller se cacher. Dans la chambre, Hirch, avec une voix soudainement plus dure, interroge Soueix sur ses blessures et lui révèle, en soliloquant sur le médecin qu’il n’est plus et sur la beauté poétique des messages de la Résistance, que ses brûlures, et la déshydratation qu’elles ont engendrée, ont provoqué une urémie qui lui sera sans doute fatale s’il n’est pas rapidement transfusé. Tandis que Soueix se met à rêver à l’hôpital, la ferme est soudainement attaquée mais Hirch et Soueix restent à bavarder : Hirch lui raconte l’histoire de Lancoeur, l’ancien pharmacien de Marigny, qui devint soudainement fou dans sa vieillesse, et partit un jour sur un vieux vélo alors qu’il ne s’était jamais éloigné de la ville. On le retrouva mort, à plus de soixante kilomètres : il avait consigné dans son carnet toutes ses impressions de « voyage » avec autant de soin qu’autrefois ses formules d’apothicaire. A la fin du récit, toute la maison vibre sous les explosions. Tandis que Hirch veut se cacher, Soueix est assailli de souvenirs liés aux peurs de son l’enfance. Se sentant soudain très détaché de tout ce qui l'entoure, Soueix se décide à partir : il aperçoit alors, depuis la cour de la ferme, de jeunes soldats allemands qui marchent vers lui tandis que Hirch l’appelle en riant aux éclats depuis la fenêtre, avec des bouteilles de cidre à la main, sans voir les Allemands qui s'amusent du spectacle… Ensuite, par jeu, les Allemands improvisent un banquet dans la cour en affublant Hirch de différents accoutrements pendant qu’il les sert. Puis ils repartent en incendiant la ferme, après avoir précipité Hirch dans le puits… Soueix, très faible et étreint par les pulsations de la douleur, quitte péniblement la ferme incendiée en emportant la cage d’une tourterelle affolée par le brasier, qui se blesse contre les barreaux. Il marche en suivant un chemin de hâlage, dans le bruit et les lumières de la guerre, jusqu’à ce qu’il finisse par s’effondrer devant un soldat dont il ignore l’uniforme. * Partie III : Le château et Mrigny Bercé de sensations vaporeuses, Soueix reprend progressivement conscience. Il est allongé sur un lit médical au milieu d’un capharnaüm d’objets hétéroclites (mannequins, bibelots, etc.). Sur les solives du plafond trottinent quelques rats méfiants. Soueix, qui a été soigné et pansé, parvient à se lever. Il ne comprend pas cette bienveillance. La porte s’ouvre et se referme sur la silhouette d’une infirmière mais Soueix parvient, d’un coup d’épaule, à faire sauter le loquet de bois. Il se retrouve alors dans la cour fleurie d’un château, et reçoit en pleine face un coup de poing asséné par un soldat allemand. Soueix se réveille dans une grange jonchée de cartes postales. Perturbé par le décalage entre son malheur et les paysages bucoliques et champêtres des cartes, il songe, en regardant les timbres, au jour où son père l’obligea à brûler sa collection parce qu’il avait volé un timbre égyptien chez le buraliste… Il est surpris dans ses pensées par un adolescent d’une quinzaine d’années, prénommé Brice, qui est le petit-fils du propriétaire du manoir ; son grand-père ayant été tabassé par les Allemands et transféré à l’hôpital, Brice s’est voué à sauver le château et à préserver le patrimoine et les objets d’art détenus par son grand-père antiquaire. Il les déplace un par un pour les cacher dans une chapelle ignorée des Allemands, qui pillent ou saccagent par plaisir les pièces de collection dont ils jettent ensuite les débris dans le puits. Soueix est impressionné par la détermination du garçon, qui méprise les soldats incapables de comprendre la beauté d’un objet d’art, et s’émeut lorsque Brice lui affirme connaître Jivi (elle est venue une fois au château pour vendre un bénitier) ; Soueix apprend également que le manoir est situé tout près de Marigny et que c’est une infirmière allemande à moitié folle, que Brice n’aime pas parce qu’elle le harcèle sexuellement, qui l’a soigné. Assoiffé, Soueix quitte la chapelle mais ne trouve pas d’eau dans le bassin envahi de scolopendres ; en revanche, il découvre sur les allées du château quelques blessés américains, pansés comme lui. A force de déambuler et de s’époumoner pour demander de l’eau, ne s’attirant que des quolibets et des coups, il attire l’attention d’une infirmière alsacienne qui lui donne à boire et qui, après lui avoir intimé de se taire pour ne pas provoquer la colère de la sentinelle, lui raconte comment il a été découvert vers deux heures du matin, délirant avec une cage d’oiseau, puis amené et soigné (morphine et transfusion). Elle lui avoue que les Allemands (et elle-même) se savent en sursis car la présence des prisonniers est la seule raison qui retient les Américains de bombarder le château. Pendant qu’elle le soigne en reposant les bandages défaits par les déambulations de Soueix, elle lui confie que les SS sont comme des enfants qui jouent à être les maîtres du monde et lui décrit l’histoire de sa vie et de son amour de jeunesse pour un Allemand qui partit quelques mois plus tard combattre et mourir sur le front de l’Est. Soudain, les Allemands commencent à préparer l’évacuation urgente du château : ils appellent Véra, qui décide de se cacher pour rester. Après leur départ précipité, Véra déclare à Soueix que les Anglais vont arriver et qu’il sera sauvé : il survivra, grâce à elle qui l’a soigné. Pour prix du service rendu, elle lui demande de lui faire un enfant. Tandis que Soueix se met à boire tout son saoul à la fontaine de la pelouse, il est rejoint par Brice, heureux que les Allemands soient partis sans rien emporter. Véra, qui s’est maquillée avec outrance, semblable aux poupées dans les collections sauvées par Brice, s’assied à leurs côtés et espère susciter leur attention. Face à leur silence, après quelques phrases insultantes, elle place un disque sur un vieux phono et force Brice à danser avec elle. Soueix regarde la scène avec indifférence, comme si tout n’était qu’une farce déjà jouée d’avance. C'est alors que le château commence à être pris pour cible par les bombardements, provoquant la panique de Véra. Brice, dont les bras sont chargés de vaisselle, les invite à le suivre à la cave mais celle-ci est emplie du cidre déversé par les fûts éventrés, aux vapeurs délétères. Tandis que Brice s’enfuit sur la route hors du château pilonné par les mortiers, Soueix se couche et s’endort. Il est réveillé par l’odeur de la cigarette allumée par Véra, qui pique une crise de colère faute de parvenir à obtenir un mot d’amour de la part de Soueix. Aussitôt après, un char Sherman force l’entrée du château et pénètre dans la cour, précédé de deux fantassins qui avancent prudemment et sur lesquels Véra, avec un rire hystérique, s’amuse à jeter des bouteilles. Soueix recule vers la grange lorsque le char se met à tirer. Tout s’effondre… Soueix parvient à se dégager des débris et marche vers un étang où une vache agonise auprès de son veau, qui lèche ses blessures. Il s’écroule à nouveau et, vaguement conscient qu’on le transporte, reprend conscience dans un lit. Sous perfusion, il voit des soldats américains affairés à jouer avec les poupées de cire de l’antiquaire, en leur faisant prendre des poses obscènes. Puis les Américains repartent en abandonnant Soueix, supposé mort en raison de son absence totale de réflexe… Alors Soueix s’arrache à la contemplation de la tapisserie, se redresse avec une facilité qui l’étonne (le mieux des mourants ?). Il déambule au hasard dans le château désert, espérant vaguement une rencontre mais ne découvre que des poupées, des mannequins et, caché derrière une porte, le cadavre de l’antiquaire. Il part à pied en suivant la route vers Marigny, toute plate, et s’endort presque en marchant. Comme un fantôme, il traverse un camp allemand, où les soldats détruisent avec une colère sourde les archives et les matériels de transmission, en attendant se de pouvoir se rendre. Avec des sourires moqueurs, ils laissent passer Soueix titubant, le visage bouffi et le corps secoué de quintes de toux. Par une chance miraculeuse, Soueix butte sur le convoi d’une colonne sanitaire qui récupère les blessés mais, alors que les brancardiers s’affairent à préparer le brancard, il leur fausse compagnie. Soueix parvient à Marigny, dévastée par les combats. Après s’être aspergé d’eau à la fontaine, il s’avance vers la façade d’une maison où des volets se sont fugacement ouverts. Il frappe au heurtoir (en s’émouvant du battant en forme de main stylisée) et s’écroule, à l’ouverture de la porte, dans les bras d’une jeune fille qui semble redouter l’arrivée d’une foule hostile. Il s’agit en fait de la maison de l’instituteur, qui a longtemps joué le rôle de médiateur avec l'occupant car il était le seul à savoir parler allemand. L’instituteur sait que des hommes sont venus et se cachent dans les ruines, pour le prendre et le juger. Il les invective depuis sa fenêtre, en s’accablant de toutes les morts si ça peut leur faire plaisir, puis il s’écroule en larmes tandis que l’aube se lève. Alors Soueix se lève et sort, vêtu des habits que la soeur de l’instituteur a disposés sur ses épaules pour le réchauffer. Lorsqu’il apparaît sur la place, il est pris pour cible. Soueix s’écroule et meurt. « Une multitude de lumières tourbillonnèrent au-dessus des maisons. Elles montaient en plein ciel, folles de joie, comme un essaim de printemps ». |
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