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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2004-11-26 | [This text should be read in francais] |
Iasi : Ville légendaire de Roumanie
"Plutôt que Bucarest, j’ai choisi d’aller à Iasi, ville universitaire située au nord-est de la Roumanie, non loin de la Moldavie, parce qu’elle a une très longue tradition de francophonie et de francophilie. A Iasi, l’enseignement du français se porte très bien." Bernard Pivot. Construite sur les versants de sept collines, Iasi est la capitale historique de toute la Moldavie (avant l'indépendance de la Bessarabie). Elle est réputée pour son université (la plus ancienne et l'une des plus prestigieuses). Appelée la ville des chroniqueurs car beaucoup de fondateurs de la culture roumaine y sont nés ou y ont vécu, Iasi est l'actuelle capitale de la Principauté de Moldavie, située sur la route commerciale traditionnelle vers la Russie, et a été considérée comme la capitale culturelle et spirituelle de la Roumanie jusqu'en 1859. Elle connaît aujourd'hui une vie culturelle et universitaire très intense. Rencontre avec des étudiants de l’université de Iasi La région de Moldavie abrite le centre universitaire le plus ancien de Roumanie et le deuxième plus important en nombre d'étudiants. L'Université Alexandru Ioan Cuza de Iasi, inaugurée en 1860, en présence du prince régnant Alexandru Ioan Cuza et de Mihail Kogalniceanu, accueillit de nombreuses personnalités qui ont marqué la culture roumaine, voire universelle. Par ailleurs, à Iasi se trouvent l'Université Technique Gheorghe Asachi, l'Université de Médecine et de Pharmacie Gr. T. Popa, l'Université de Sciences Agronomiques et Vétérinaires Ion Ionescu de la Brad, l'Université d'Art George Enescu ainsi que des Universités privées qui entretiennent toutes des rapports privilégiés avec le milieu universitaire français. Actuellement 15.000 étudiants, dont de nombreux étudiants étrangers, notamment français venant grâce au programme SOCRATES de l'Union Européenne, étudient à Iasi. De plus, l'Université Alexandre Ioan Cuza possède une filière francophone dans la faculté de Géographie, où les cours sont exclusivement donnés en langue française. (Photo personnelle : Mariana Luta) A la question „Ne ressentez-vous pas du chagrin de ne pas faire partie de l’Union Européenne”, les réponses des étudiants sont unanimes: „Il faut être vraiment préparé pour entrer dans l’Union Européenne.” Ils sont prêts à travailler en dehors de la Roumanie pour aider la Roumanie, établir les liens dont elle a besoin. Se spécialiser à l’étranger pour ensuite revenir et appliquer ces savoirs en Roumanie. Ils ressentent de la méfiance à l’égard du nationalisme, et ont confiance en l’avenir de l’Europe. Bibliothèque Centrale Universitaire de Iasi : entretien avec le professeur Alexandru Calinescu. L'Université de Iasi est très active et très réputée dans de nombreux domaines scientifiques. Sa Bibliothèque Centrale Universitaire est aussi l'une des plus importantes du pays. Elle est dirigée par un intellectuel francophone de renom, ancien professeur à l'INALCO à Paris et spécialiste de Proust, le Professeur Alexandru Calinescu, qui vient d’être fait chevalier dans l’Ordre National du Mérite par la France. (Photo transmise par Marlena Braester) Alexandru Calinescu dirige depuis quatre ans la Bibliothèque Centrale Universitaire de Iasi. Elle compte environ trois millions de livres et périodiques, 25 à 30 000 étudiants la fréquentent. Alexandru Calinescu a fait le choix de la langue française à 17 ans. Malgré le régime communiste, il s’investit totalement et ce choix de vie équivaut à se marginaliser. Les langues avaient disparu depuis une dizaine d’années, le français, l’anglais et l’allemand revenaient à peine sur la scène. Et le français reprend une position privilégiée, dûe à l’énorme et extraordinaire tradition d’enseignement de cette langue. Ceausescu fait du français la première langue étrangère, ses rapports avec la France sont bons, en 1968, le général De Gaulle vient en visite en Roumanie. Alexandru Calinescu est un enfant de Iasi, il y a fait toute sa carrière: des études de littérature française – sauf la littérature contemporaine car beaucoup d’auteurs restent tabous. En 1967, sa maîtrise porte sur Ionesco, il se consacre à la littérature moderne: Barthes, Genêt, Todorov, c’est une manière de faire quelque chose qui échappe à l’idéologie : parler de la narrativité, des structures et perspectives narratives, car il n’était pas question de parler du personnage positif communiste ou du message progressiste. A cette époque, en 1967-68, il y a un grand espoir, c’est aussi le Printemps de Prague... Il n’ira qu’une seule fois à Paris, comme étudiant, à l’Alliance Française, „Je suis tombé définitivement amoureux et malade de Paris, maladie qui me hante toujours” et pense retourner „souvent” à Paris. Mais entre 1980 et 1989, il n’a pratiquement plus le droit de sortir du pays, il est considéré comme un opposant au régime. Il n’y a plus d’Institut, plus de Centre Culturel Français, seuls restent les lecteurs français à Iasi avec lesquels il entretient des rapports d’amitié, bien que les contacts soient interdits avec les étrangers. Malgré cela, se crée un groupe d’amis, de jeunes écrivains, qui organisent des réunions, qui veulent publier des choses, déjà proscrites. Certains lecteurs français font venir à deux reprises des équipes de télévision française pour filmer et réussissent ainsi à faire passer des cassettes dénonçant la situation catastrophique : démolitions à Bucarest, hôpital sordide et sinistré à Iasi. Il prend des risques et en subit les conséquences: son nom ne peut plus être cité, il ne peut plus signer d’articles. Intimidations envers sa famille. Mais il conserve son poste à l’université. Il accueille la Révolution avec beaucoup d’allégresse. Quinze ans après, il n’est pas déçu : „le régime qui s’est écroulé était un régime odieux. Nous avons gagné deux droits – qui sont des droits normaux pour d’autres- : le droit de parler, d’écrire, de s’exprimer et le droit de voyager, de circuler. Bien-sûr, la population a d’autres problèmes: de nourriture, de vie quotidienne. La liberté passe par l’estomac. Ce qui explique d’ailleurs beaucoup de confusions d’appréciations...” „La Roumanie intégrera l’Union Européenne en 2007, nous avons perdu beaucoup de temps, c’est de notre faute, et celle des régimes au pouvoir. Ce sera dur.” La Roumanie est un pays francophile et la région de Moldavie ne l'est pas moins. En effet, cette région est historiquement francophile. Voici une brève chronologie des évènements qui ont contribué à en faire une partenaire importante de la francophonie et la région la plus francophone de la frontière orientale de l'Europe. XVIIIème siècle : le français devient en Roumanie la langue de la diplomatie, de la culture, des études et de la communication. - 1797 : Paris nomme ses premiers consuls à Bucarest et à Iasi ; les fils de boyards et de princes partent étudier en France - à partir de 1813 : de nombreux Français issus de l'armée en déroute de Napoléon Ier s'installent à Iasi - 1829 : le premier quotidien en langues roumaine et française paraît sur initiative de Gheorge Asachi - 1832 : une troupe française de théâtre ouvre à Iasi le premier théâtre permanent de Moldavie - 1835 : la première véritable institution de culture et d'enseignement supérieur de Moldavie L'"Académie Mihailena" est fondée à Iasi, l'étude du français y est obligatoire - 1856 : le Consul français Victor Place entre en fonctions à Iasi et travaille à l'union politique des Principautés Moldo-Valaques avec Al. I. Cuza et M. Kogalniceanu - 1860 : la première université de Roumanie est inaugurée à Iasi ; le français est la première langue étrangère étudiée - 1916 : le Roi Ferdinand engage la Roumanie aux côtés de la France dans la guerre contre la Prusse - 1917 : Iasi devient la capitale de la Roumanie libre et devient la base de la mission militaire et médicale française du général Berthelot - 1921 : le centre français "Lutetia"est créé à Iasi par le professeur Nicolae Serban de la Chaire de français de l'Université de Iasi - l'entre deux guerres : la Roumanie vit à l'heure française et Paris devient l'endroit privilégié des artistes et écrivains roumains - fin des années 1940 : les institutions françaises sont contraintes de cesser leurs activités - 1957 : le français, remplacé après la guerre par l'enseignement obligatoire du russe, est à nouveau étudié - dès 1990 : les institutions françaises rouvrent leurs portes, le français est plus que jamais dans le coeur des Roumains. (Source : http://www.ccf.tuiasi.ro/francais/iasi.htm) Le Centre Culturel Français de Iasi (Photo: Centre Culturel Français de Iasi) La francophonie a toujours tenu une place importante dans le coeur des Roumains, qui plus est à Iasi. Entre les deux guerres, la ville possédait déjà une institution intitulée "Lutetia" où l'on organisait des conférences et des cours en français. La guerre et le communisme mirent fin à cette institution, mais dès 1990 un groupe d'étudiants et d'intellectuels fortement attachés à la tradition européenne et à la francophonie adressèrent une demande à l'Ambassade de France en Roumanie... Ainsi naquit le Centre Culturel et de Coopération Linguistique français de Iasi en 1992. Inauguré par les Présidents Illiescu et Mitterrand, le Centre s'efforce de répondre aux demandes roumaines, comme de promouvoir et de démocratiser la culture francophone. Le Centre Culturel Français de Iasi a pour mission la promotion de la culture francophone et une action éducative et linguistique. Cela se manifeste par l'organisation et la programmation d'activités culturelles très diversifiées et le plus souvent gratuites, par la mise à disposition de documents en langue française et par l'offre de cours de français d'une très grande qualité. Situé stratégiquement dans le quartier universitaire et au centre de la ville, le C.C.F. bénéficie d'un poids culturel et institutionnel très important. Le public, nombreux et varié, est d'abord universitaire (étudiants, enseignants et chercheurs) mais aussi composé des différents milieux intellectuels et artistiques de Iasi et de la région de Moldavie. (source : http://www.ccf.tuiasi.ro/francais/present.htm) (Photo personnelle : Mariana Luta) Le Centre Culturel Français compte 700 élèves inscrits aux cours, 2000 fréquentent la médiathèque. Il possède également un théâtre, où nous rencontrons Luiza Vasiliu , 19 ans, qui vient d’obtenir son bac mention très bien et qui nous parle dans un français parfait et sans accent de sa passion... pour le théâtre. Elle a adapté „Zazie dans le métro” au théâtre, en français, avec la troupe de son lycée. Ils ont joué à Grasse dans un festival de théâtre pour amateurs où ils ont remporté la coupe. Leur voyage s’est effectué en minibus pendant deux jours et demi, de Iasi à Grasse. Ses lectures favorites portent sur le 20° siècle: le surréalisme, les écrivains contestataires, révolutionnaires, elle précise cependant : „Je ne suis pas frondeuse dans le sens politique, car fronde et révolution, cela rime un peu avec communisme. Pas dans ce sens, mais dans le sens de vouloir réformer les traditions, de briser les barrières.” A la terrasse d’un café : Lucia Vartic (Photo personnelle : Mariana Luta) Lucia Vartic a 83 ans, elle est née à Iasi où elle a fait toutes ses études. A 17 ans, elle rêvait d’aller en France continuer ses études. Mais la guerre a éclaté lorsqu’elle était encore au lycée, elle a passé son bac et a continué des études de français à l’université. Elle a enseigné le français toute sa vie, sans jamais aller en France. Simplement, elle lisait beaucoup. Elle avait fait une demande à la Securitate pour aller en France, demande refusée. Découragée, elle dit un jour à son fils : „Je vais mourir sans visiter la France. Quand je mourrai, vous m’incinérerez et vous jetterez mes cendres à Paris, dans un jardin”. Après la chute de Ceausescu, son rêve s’est réalisé : retraitée depuis seize ans, elle a pu se rendre à Paris. Elle s’était préparée pour ne pas subir un trop grand choc, mais ni la France, ni Paris ne pouvaient la décevoir ! Depuis elle est allée six fois en France ! Lorsqu’elle a commencé à enseigner le français, de 1951 à 1957, on avait supprimé l’enseignement des langues étrangères à l’université. Le russe était obligatoire. A partir de 1958, le français est enseigné à nouveau : c’est la réaction de Ceausescu contre l’URSS. Mais il n’y a pas de livres de littérature française, ni au lycée, ni dans les classe supérieures. Les seuls textes sont ceux choisis par le Parti et traitent de la chimie, du travail aux champs... Mais elle est heureuse de parler français et lorsqu’elle a un seul et unique texte de Balzac, elle en profite pour parler de littérature. Madame Vartic a enseigné le français toute sa vie, pourtant elle considère qu’elle a „perdu” sa vie : elle n’a rien fait de ce qu’elle aurait voulu faire: étudier la littérature française, passer un doctorat. „J’ai seulement gagné ma vie.” Arrière grand-mère, elle est optimiste pour la Roumanie „mais, pour dans vingt ans !” Au lycée Mihai Eminescu de Iasi Deux lycées à Iasi possèdent des classes bilingues roumain-français. Le lycée Mihai Eminescu compte 1250 élèves et 80 professeurs, dont 11 de français. S’ils commencent en primaire, les élèves font douze ans de français, sinon, ils peuvent opter pour une classe bilingue: quatre ans de français intensif à raison de 6h de cours par semaine. Ce lycée bilingue a été créé tout de suite après la Révolution, la Moldavie est le fief de la langue française en Roumanie. Les professeurs ont été eux-mêmes élèves dans ce lycée, et être professeur de français pour certains d’entre eux s’assimile à une tradition que l’on se transmet de génération en génération ! Le cursus de littérature va du Moyen-Âge jusqu’à nos jours : les élèves étudient Chrétien de Troyes, Rabelais, Diderot, Gide. „A quoi vous servira la langue française à la fin de vos études ? Je n’ai pas pensé à la fin de mes études. J’ai acquis beaucoup de connaissances en français. C’est un atout culturel.” Ce même lycéen nous parle – toujours dans un français impeccable - d’Amin Maalouf: „Il est libanais et écrit en français. J’ai lu presque tous ses livres. C’est un auteur descriptif, très moderne, il est capable de peindre tout un monde, un monde exotique, oriental, dont je ne connais pas beaucoup de choses. Un monde très différent des „Mille et une nuits”. On va se former une autre image à propos du Moyen- et Proche-Orient lorsqu’on lit les romans d’Amin Maalouf.” Sur Agonia, Marlena Braester, originaire de Iasi, ancienne élève du professeur Calinescu: (Photo personnelle: Nicole Pottier) "Iasi aura toujours pour moi le charme de la vie des étudiants. C'est une belle ville, et j'ai du mal à l'imaginer sans ses étudiants. Les études étaient de très haut niveau, les professeurs de vrais érudits; je peux juger maintenant par rapport au niveau des études de plusieurs autres pays que je connais. On lisait énormement, avec une passion que je ne retrouve malheureusement plus chez mes étudiants des vingt dernières années. Les cours d' Alexandru Calinescu nous ont ouvert les horizons auxquels on aspirait. La richesse et la profondeur des analyses étaient complétées par les séminaires peu conformistes où, (et je ne prends qu'un exemple) à partir des „Exercices de Style” de Raymond Queneau, nous tachions de ré-écrire nous-mêmes des textes. La créativité vécue des deux points de vue: non seulement celui du lecteur, un lecteur critique et actif, mais on était aussi obligé de passer outre: on ressentait ce que l'écrivain devait ressentir pendant le processus d'écriture. Pour moi, ce fut un exercice d'écriture décisif. Ce n'est qu'après beaucoup d'années que le professeur Calinescu et moi-même nous sommes rencontrés à Paris, ou en Roumanie. Et ce n'est que ces derniers temps que j'ai eu l'occasion de lui dire ce que je lui devais vraiment. J'ai eu aussi le plaisir de pouvoir l'inviter à participer à une Journée d'Etudes organisée par la Société Benjamin Fondane à l'Université de Tel Aviv l'année dernière. Comme je traduis beaucoup (dans le cadre de l'Atelier de Traduction de la Poésie que je dirige, auprès du Centre de Recherche sur la Poésie francophone contemporaine de l'Université de Haifa) et que je m'intéresse à la théorie de la traduction, je serais heureuse de lancer des projets communs avec l'Université de Iasi, notamment avec Magda Jeanrenaud, collègue et amie du temps de nos études communes à Iasi, actuellement professeur dans le Département de francais de la même université ! Ma vie se déroule sous le signe de la francophonie: après les études à Iasi, après les premiers "exercices de style", j'ai continué une deuxième maîtrise et un doctorat en Israel et en France. Mais l'essentiel est l'écriture, la poésie, et... en francais. Car, je n'ai plus quitté la langue francaise depuis. Elle s'est métamorphosée en langue d'expression littéraire". Merci beaucoup, Marlena, pour ce témoignage . (Marlena Braester est poète, traductrice, et linguiste. Elle vit en Israël où elle enseigne à l’Institut Polytechnique de Haifa, elle est la présidente de l’Union des Ecrivains Israéliens de Langue Française). Elle a été faite Chevalier dans l'Ordre des Palmes Académiques par le Premier Ministre de la France pour services rendus à la culture française. Elle a reçu le prix Ilarie Voronca pour son recueil de poèmes en français "Oublier en avant" en 2001). A suivre... |
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