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Zeus et Icare
personals [ ]

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by [syriuseyes ]

2012-02-11  | [This text should be read in francais]    | 



Zeus et Icare



Icare :
Je m’appelle Icare. J’ai dix huit printemps. C’est l’âge qu’on me donne, malgré le dérèglement des saisons et la course folle du soleil qui ne montre plus sa lumière que par intermittence, entre deux orages, fugace comme le tonnerre qui gronde et darde ses pluies acides sur ma cité.
Je suis ce qu’on appelle un enfant des rues, un môme de la cité des murs blancs. J’y ai vécu depuis ma naissance, comme mon père avant moi, et son père avant lui, et le père de son père et bien d’autres encore avant lui. Beaucoup de légendes expliquent le nom de ma cité et surtout pourquoi elle est entourée de murs blancs immenses, infranchissables, mystérieux. Certains parlent d’une malédiction que nous auraient jetés d’obscurs dieux courroucés par nos attitudes désinvoltes à sans cesse nous faire la guerre. Les dieux des grottes. Ainsi nommés parce qu’on les suppose vivre dans le gouffre qui borde la cité et murmurer dans le vent leurs incessantes et incompréhensibles litanies. Les sages eux nous expliquent que c’est plutôt notre acharnement à épuiser les richesses de notre monde et l’indifférence de nos ancêtres face à la dégradation intempestive du milieu dans lequel ils vivaient. Que le réchauffement du monde a obligé quelques uns à se refugier dans une immense grotte pour y construire cette cité et à l’entourer de murs imposants pouvant résister au chaos de l’extérieur. Que le gouffre n’est qu’un trou béant où le vent s’engouffre à grands bruits, comme pour pleurer tous ceux qui ont voulu s’y aventurer sans jamais en revenir. Mais c’était il y a bien des générations ! Si longtemps que personne n’est là pour en témoigner directement, et rien ne prouve la véracité de ces dires, ni que le monde extérieur est toujours une menace.


Nicolas :
Je me nomme Nicolas. Du moins c’est ainsi qu’on m’a nommé, mais mes amis m’appellent Zeus, car c’est ainsi que j’aime qu’on m’appelle. Et j’aime qu’on m’appelle !
Mes parents s’arrachent les cheveux tellement j’ai d’appels, tant mon phone sonne ! Est-ce ma faute s’ils ont toujours la manie de me parler au moment où je suis au téléphone ? Bien sûr c’est normal qu’ils ne comprennent pas, à leur époque la télé venait juste d’être inventée, et le téléphone était un objet réservé aux parents, avec un cadrant à faire tourner, lol !
Aujourd’hui j’ai dix huit ans. Je vais enfin pouvoir faire ce que je veux, sortir quand je veux, rentrer si je veux, faire la fête ! J’ai d’ailleurs décidé de ne plus aller en cours, on voit bien que ça ne sert à rien et puis je n’ai pas besoin de ça. Il suffira que je cherche du travail quand j’en aurais besoin, si bien sûr on ne m’en propose pas un avant. Papa me propose de travailler dans sa boîte. Il a l’air inquiet. Mais ça ne m’intéresse pas, je veux un métier intéressant, à ma hauteur, n’a-t-il pas conscience que je suis adulte et que je sais me débrouiller ?
Je ne veux pas être comme lui ou son père avant lui, ou le père de son père et bien d’autres encore avant lui. Je veux être quelqu’un ! J’ai rendez-vous ce soir avec mon groupe, il faut qu’on se prépare à enregistrer nos morceaux, à moi la célébrité.
Mais je dois d’abord terminer d’écrire ma chanson. Un truc qui fait vibrer dans les chaumières.
Bientôt tous le monde scandera mon nom, Zeus ! Zeus ! Zeuuuuuss ! Yeah, je me fais trembler d’avance tellement c’est bon !


Icare :
Aujourd’hui triste nouvelle. L’expédition qui devait franchir le mur de la cité par la face nord ne donne plus de nouvelles. Ce n’est pas la première fois qu’une telle expédition est tentée. La dernière avant celle-ci était composée d’un groupe d’aventuriers, à l’initiative du conseil des sages pour déterminer si le monde extérieur était viable. Ils avaient dû traverser le lac acide entourant la cité, marcher pendant plusieurs jours et n’avaient plus donné de nouvelles pendant plusieurs semaines. Un seul était revenu, un seul avait survécu assez longtemps pour nous expliquer l’impossibilité de l’ascension. De la roche glissante et si dure que les broches et les pitons ne pénétraient qu’après un acharnement à les planter, un vent si violent dans les hauteurs que tous étaient tombés. Une chute vertigineuse à laquelle le rescapé n’avait pu échapper que grâce à l’amorti d’un amas de lichens blancs qui poussent au pied des murs et dont la population se nourrit. Ce même lichen que j’abhorre, mais qu’il me faut manger chaque jour ou presque, en bénissant les dieux de pouvoir me sustenter. C’est ainsi que la cité survit, nourrie de lichens blancs, nourrie de cet espoir d’un ailleurs, entretenu pas les sages et les expéditions qu’ils envoient à chaque fois que la rumeur d’une révolte gronde.
Aujourd’hui triste nouvelle, aujourd’hui père a disparu dans l’expédition.
Il m’avait promis de ne pas prendre de risques, il pensait pouvoir revenir sur ses pas si la difficulté était trop grande. Il m’avait regardé dans les yeux avant de partir, avec ce regard qui signifiait « je le fais pour toi, et pour tous ceux qui viendront après toi. Regarde moi, ne pleure pas, soit fier de ton père, reste fort et digne, garde l’espoir en toi car quoi qu’il arrive je vivrais à travers toi ». Il s’en était allé sans se retourner. Sans doute pour ne pas flancher, sans doute pour m’épargner ses larmes.


Nicolas :
Bien, puisque me voici coincé à attendre dans cette salle d’attente que le docteur daigne s’occuper de moi je vais en profiter pour continuer ma chanson. Voyons voyons, parlons peu, parlons bien… Il faut que je fasse appel à toutes mes émotions, à toute mon âme, à tout mon vécu… Tiens si je parlais de la guerre, de la faim dans le monde, et de ces pauvres qu’on voit à la télé ?
Ca donnerait :
« Toi qui ne peux pas manger, bats-toi,
Toi que la sécheresse a brulé, crois-moi,
Prends tes petits bras, bats-toi,
Nous sommes là pour t’aider, crois-moi,
Toi que la guerre a blessé, crois-moi,
Je peux te soigner, c’est ça,
La soif, la faim, la douleur n’existent pas,
Le mal est une question de pensée, écoute ça,
Tu t’fais du mal quand tu ne t’aimes pas
Dis toi je m’aime,
Tu m’aimes,
Il m’aime,
Tout le monde m’aime,
Dis-toi bien qu’on est là et qu’on pense à toi!
Dis-toi qu’t’es un mâle, check moi !
Dis-toi que t’as pas mal, check ça !... »
Ouais que du bon ça ! Bientôt on écrira « heureusement qu’il y a des artistes comme Zeus pour nous rappeler d’être humain ! Quelle compassion ! Il a dû tellement souffrir pour si bien comprendre la souffrance et le désarroi des autres »
Et je répondrai humblement « Tout homme et femme est à même de comprendre cela, s’il se met à la place de ceux qui souffrent. C’est sûr que j’ai souffert de l’incompréhension de mes parents étant enfant et d’autres choses sur lesquelles je préfère me taire (car un artiste doit toujours avoir ses petits secrets, son coté mystérieux) mais je ne leur en veux pas, ils ont fait leur possible. La vie est dure vous savez ! »
Avec ça je vais épater le groupe, et peut être qu’on pourra faire une petite impro au concert de ce soir dans le bar du père de Mano.


Icare :
Si j’ai sollicité une audience auprès du conseil des sages, c’est parce que j’ai eu une idée pour passer ces indomptables murs qui entourent notre cité et sur lesquels tant d’êtres chers à nos cœurs se sont brisés.
Depuis des siècles, nous tentons de passer par-dessus, de nous glisser en dessous, nous essayons d’endommager sans succès la paroi, à coup d’expéditions et de piolet, au détriment de plusieurs dizaines d’âmes. Mais si l’ensemble de la population s’y mettait, avec l’assiduité nécessaire, et au même endroit de la paroi et sur la durée, cela pourrait bien nous permettre de faire une brèche. La dureté reconnue de la roche serait compensée par le nombre de personnes à s’y affairer! Et qui plus est fournir un travail de masse au peuple le tiendrait occupé, ce qui résorberait les émeutes actuelles et préviendrait les révoltes futures tout en montrant à tous qu’il n’y a pas de complot destiné à les garder prisonnier de cette cité.


Nicolas :
Le concert va commencer, ma carrière de star, la salle est pleine. Quinze personnes, dont trois filles, deux pas très belles, normal ce sont les sœurs de Mano, mais celle du premier rang, quelle beauté ! Ah mes premières groupies ! Faut que je donne tout ce que j’ai. Les autres ont trouvé ma chanson terrible, ils savent voir l’artiste qui est en face d’eux. Pas comme tous ces jaloux, pas comme mes parents. Ils comprendront plus tard quand je serais célèbre. Ils reviendront vers moi penaud en disant « Pardonne nous, on ne savait pas, on n’écoutait pas… Le monde est dur, nous avions peur pour toi, on savait que tu avais du talent mais nous avions peur que personne ne le voit, tu es si sensible et si intelligent…. »
Mais je leur pardonnerai quand même... Une vraie star doit savoir encaisser les coups !
En parlant de coup il fait quoi ce docteur, j’ai mal moi. Allez faut pas y penser, où j’en étais ? Ah oui, Lulu à la basse, Mano à la guitare, Yoyo à la batterie, quelques spots à accrocher et c’est parti pour les Zeus’n’us !!!


Icare :
D’après mes calculs nous devrions atteindre la paroi d’ici peu…
Plus de trente saisons sont passées depuis la décision du conseil, mais pour moi c’était hier. Ils étaient bien forcés d’accepter, c’était ça ou la révolution !
On voit déjà la lumière traverser la roche. Bientôt tous ces mystères seront résolus… Bientôt nous saurons… Bientôt rien ne sera plus comme avant… Bientôt… Ca y est le mur tombe !
Enfin ! Nous avons réussit, un pan complet du mur est tombé !
On s’enlace, on rit, certains crient de peur, peur de l’inconnu, interprétant ce tonnerre qui s’est mis à gronder dans la grotte comme un avertissement divin. D’autres exultent, d’autres pleurent, pour nos pères et nos certitudes qui sont tombés, pour nos rêves et nos enfants à venir !


Nicolas :
« Dis toi je m’aime,
Tu m’aimes,
Il m’aime,
Tout le monde m’aime,
Dis-toi bien qu’on est là et qu’on pense à toi!
Dis-toi qu’t’es un mâle, check moi ! »
Vas-y Mano ! Solo ! …
«Dit toi que t’as pas mal, check çaaaahhhhhhh ! ahhh …»


Le docteur (tapotant la joue de Nicolas):
Jeune homme ! Réveillez vous ! Jeune homme, allons…


Nicolas :
Qu’est ce qui m’arrive ? Je me suis endormi ? Je rêvais ? J’ai dis quelque chose ?


Le docteur :
Vous vous êtes évanoui plutôt mon p’tit. Juste au moment où je vous arrachais votre prémolaire. Il était grand temps dis donc, il y avait de la vie la dedans, ça tournait à l’abcès. Enfin comme on dit dans le métier, tant qu’il y a de la vie il y a de la carie n’est-ce pas…

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