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L’amoureux de Margaridon
poetry [ ]

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by [Edmond_ROSTAND ]

2010-05-21  | [This text should be read in francais]    |  Submited by Guy Rancourt



« Vierge au regard loyal, fleur de notre campagne,
Si je puis être aimé de vous, Margaridon,
Demain même, je veux, pour vous en faire don,
Acheter un foulard au colporteur d’Espagne.

« Si nous nous accordons sans trop tarder, je crois
Que je ne saurai pas vous refuser la montre
Qu’un bijoutier gascon dans sa boîte nous montre
Au milieu de cœurs d’or, de bagues et de croix !

« Si nous nous marions aux premières pervenches,
J’irai jusqu’à donner du ruban de velours
Pour que le capulet même de tous les jours
Soit aussi bien bordé que celui des dimanches.

« Sans être un grand Crésus, j’ai mon petit avoir
J’ai des bœufs. J’ai le champ que m’a laissé mon père.
Un potager. Enfin, la maison est prospère
Et vous aurez du linge à porter au lavoir.

« Et si vous ne voulez que goûter le jeune âge,
Vous vivrez sans rien faire, aussi blanche de peau
Que les dames d’Albi qui portent un chapeau,
Car la mère est vaillante et fait tout le ménage.

« La chambre est belle. Elle a trois mètres de hauteur.
Moi-même j’ai taillé la poutre et les lambourdes.
J’ai pendu deux portraits sous la Vierge de Lourdes :
L’un, c’est Monsieur Hugo ; l’autre, Monsieur Pasteur.

« De l’huile de mon bras la commode est luisante.
Le lit est grand, profond : c’était le lit des vieux.
La mère l’a cédé pour que nous soyons mieux.
Tout ça sera bien beau quand vous serez présente !

« Les rideaux ont été passés à l’amidon ;
Et j’ai fait faire un cadre avec les coquillages
Que l’oncle a rapporté de ses lointains voyages,
Pour le petit miroir de ma Margaridon.

« J’ai, pour vos pots de fleurs, élargi d’une planche
La fenêtre où bientôt vous viendrez vous asseoir…
Et lorsque je suis seul, je regarde, le soir,
La place où vous mettrez votre main sur ma manche. »

1889

(Edmond Rostand, Les Musardises, 1911)

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