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Des vis et des écrous
prose [ ]

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by [erableamots ]

2005-07-01  | [This text should be read in francais]    | 



DES VIS ET DES ÉCROUS



Il faut être petit pour voir l'infini. Ceux qui cherchent la gloire ne trouvent que le vide. Quand on ne regarde plus, ce sont les choses qui nous voient. Un oiseau endormi sur la branche continue de voler. Une pierre a honte quand elle sert aux prisons. Toute la forêt a mal dans le bois des matraques. Ce que nous avons été ou ce que nous serons n'est pas ce que nous sommes. Les caresses données ne compensent pas celles qui manquent dans le moment présent. Le silence ne connaît pas son nom. C'est un mot qui se tait.

Quelques poèmes relient les morceaux de ma vie. Mes mots mal assemblés sont plein de vis et d'écrous, de fils qui dépassent, de virgules rouillées. Dans le platras des heures, je remonte à la source d'un os. J'avance comme un loup dans la neige, un chimpanzé entre les branches. Les arbres dansent sur un plancher de terre. J'ai la tête sur un tronc d'arbre et je vois des visages sur l'épaule des feuilles. J'ai grandi dans les petites eaux sans connaître la mer. Je tète les nuages à défaut d'une mer. Je ne veux pas qu'on m'enterre mais qu'on me jette à l'eau comme une bulle de rêve.

L'enfant dessine le monde à partir d'un banc, d'un jouet, d'un caillou. À peine sait-on lire, on lance vers le ciel des oiseaux de papier. Je m'éveille pour rattraper les mots qui s'échappent la nuit. Il faut d'abord rêver pour se réveiller fort. Les arbres ne sont pas prisonniers de la terre, ils se nourrissent de sa liberté. Les oiseaux volent enchaînés à leur nid. Les pas enfermés dans du cuir font un autre voyage que les pieds nus. Les uns prolongent les trottoirs, multiplient les rues et s'accrochent aux secondes. Les autres parlent avec la terre et libèrent le temps.

Les arbres ont des racines dans la tête pour relier au ciel le monde aveugle du dessous. Quand l'horizon se tait, le vertical prend la relève. On entend les échelles crier contre le mur, les escaliers chanter dans la tête des maisons. Quand il vente, les fruits bondissent entre les feuilles. Les rêves interrompus laissent des murs debout sans portes ni fenêtres. On a manqué de briques ou d'espérance, d'amour ou de mortier ? On doit imaginer le toit, la cave et le grenier. Le front du soir laisse parler ses rides. On doit récupérer ses gestes un à un, retrouver les caresses cachées au fond des poches, les traits sur les photos. On doit flairer les pas comme un énorme chien, tracer des coquillages pour entendre la mer.

Mon coeur s'incline pour brouter mais ne perd pas de vue le pâturage des nuages. Chaque jour a ses petits miracles. Deux amoureux s'embrassent pour la première fois, un bébé marche sans tomber, un enfant rit sur le dos d'un vieillard et lui prête ses yeux, un banquier fait faillite ou un soldat déserte, des pommes flétries pétillent dans un verre de cidre, des écoliers prennent le large sur une mer de cartables en préférant les contes aux chiffres des comptables, une girouette s'affole sur un cou de girafe, la ligne d'horizon ouvre une main d'avoine, des mots s'écrivent sans pudeur avec la langue sur la peau.

Deux petites braises sur le plancher allument un grand feu. Deux gouttes de pluie portent la mer. Les miettes forment des rires sur la nappe du pain. Sous le moignon des villes, une main de verdure quête deux sous de pluie. Mes mots sont des clochards se récitant Platon sur l'air des ruelles. Je retiens dans mes poches des larmes de caillou et des rires d'enfant. La barre se déplace sous les chiffres de pluie additionnant le ciel aux parfums de la terre.

C'est difficile de vivre sans perdre quelque chose. Tous les cailloux qu'on lance font des cercles éphémères sur le lac des heures. On gratte le silence avec le bruit des mots comme un chat griffe un meuble. On passe tant de temps à chercher ce qui manque, on oublie ce qu'on a. Je sculpte un silence d'argile avec l'eau des mots, une passerelle de pain entre l'homme et la faim, le sourire d'un enfant entre la femme et l'heure. La vie marche dans nous quand nous marchons dans elle. On reconnaît ses pas à la couleur des yeux, la chaleur des caresses, la vérité des gestes.

Dans la rumeur des bruits, je dessine ma voix avec des mains d'enfant. Sur le front de chacun les rides sont liées à la naissance du monde. La vieillesse et l'enfance sont les deux bras du même. Quand les arbres pleurent, les oiseaux sont des larmes. Quand ils rient, c'est le soleil qui bouge sur les lèvres des feuilles. La neige quand elle tombe rapproche les humains, les bêtes, les étoiles.

J'interroge en mésange les brindilles du temps, le lieu où nous vivons, les choses qu'on oublie, le rêve des insectes. Les pétales frissonnent aux branches des pommiers. Ils ont la chair de pomme. Les baleines s'échouent au large de la côte. Elles ont la peur de l'homme. Il y a trop de femmes traquées, trop d'hommes détraqués. Des enfants mangent en rêve le moignon de la faim. Les roses portent l'épine comme un soldat son arme. L'odeur des feuilles mortes s'échappe des bourgeons bien avant qu'ils n'éclosent. Qu'on ne me dise pas qu'il faut courber l'échine sous le joug d'un patron, qu'il faut baisser la tête, laisser le capital faire des trous dans l'ozone et des cratères de bombe. Qu'on ne me dise pas qu'il faut croire aux banquiers, aux curés, aux marchands ou aux psys. J'aime mieux passer pour fou que de passer ma vie enchaîné au profit. Je resterai debout jusqu'à la paix finale, le crayon à la main, pour écrire à ma blonde des poèmes d'amour.

22 juin 2005



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