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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2007-04-22 | [This text should be read in francais] |
Existe-t-il un humour roumain ? Sans doute (Ionesco, Cioran… mais je n’aime ni l’autre ni l’un, ce qui m’avance peu). Comme il existe un humour portugais, ou britannique. L’humour britannique, on connaît, et sait le reconnaître, à défaut de le pratiquer, fût-ce en français. L’humour portugais, on le connaît beaucoup moins, et doit frapper celui qui le découvre par sa joviale concision, souvent populaire et désespérée.
L’humour est toujours plus ou moins indéfinissable. A fortiori quand, comme moi, on ignore tout de la Roumanie, en dehors de sa francophonie, si flatteuse et comme réchauffante pour nous, Français – en espérant que nous en sommes dignes et faisons tout ce qui est en notre pouvoir (instances et ambassade françaises, universitaires, écrivains) pour l’épauler et l’encourager sur place même, en souvenir des Daces et de notre commun empereur Trajan. J’ai donc beaucoup de mal à caractériser l’humour de Constantin Frosin. Ce qui me frappe, c’est son aspect virtuose et tournoyant, dans ses vers fuselés, comme dans sa prose, pourtant horizontale ; c’est sa façon de partir du langage pour toujours le tourner en bourriche au moins autant qu’en bourrique (pour faire ici un jeu de mots dans son genre, signe que je commence à mon tour à un peu le connaître) ; sa façon de sentir aussitôt le français dans ses coutures, sous ses coutures, du dedans, dans sa richesse intime, fût-ce pour en extraire la grammaire même du néant (à base d’explétifs, d’apocopes, de règne du « ne » et de « pas », nœuds de ne et sacs de pas du Chevalier de Pas *1 ), alors qu’il me dit n’être pas né en France et n’y avoir guère séjourné (j’eusse juré du contraire !). Saisie au fond fondamentale, car Constantin Frosin n’y va pas par quatre ni cinq chemins, à peine 400 (et quelques) coups (tiens, je viens encore de faire du C. Frosin) : lui, ce qui l’intéresse, mine de rien, mine de tout (mine de rien, c’est-à-dire de tout) (tiens, encore une frosinade), c’est rien de moins que l’être et le néant, que ce rien qui est tout, et ce tout qui tourne et gire en rien, le temps d’un petite tornade de mots (strophes courtes, souvent quatrains, ou valses de haïku - haïku japonais (*2) ou plus japonais du tout - à lire, au choix, isolément ou en enfilade). Faire du tout avec rien ; de la poésie avec des riens, des riens du tout ; tourner le surréalisme en bourriche et en bourrique à force de sous-réalisme, juste ricaneur, et de quelque dérisoire argot à rythme fou. À l’autre bout de l’autre bout, rien se transforme bien en tout ! hier en demain, à moins que ce ne soit l’inverse, et le contraire (tue-Dieu !) en son contraire ; le contraire de tout ; du tout au tout ; au rien initial et final. Du rien au tout, le plus court chemin n’est pas la ligne droite, mais le cercle du petit cyclone : rien au milieu, vide absolu, et folie du tournoiement tout autour, en déplacement plus ou moins continu. Ce sens du rien et du tout explique que ce poète de la vanité la plus dérisoire se situe, fût-ce face à lui-même, souvent à l’extrémité de tout, à l’en-deçà du bout ou de l’au-delà (à moins que ce ne soit l’inverse), à sa propre porte ou au seuil de notre propre, de sa propre mort : Je frappe timidement à ma porte D’où je m’absente depuis longtemps. Mon émotion est assez forte : Qui vais-je trouver dedans ? Et ailleurs : Un certain Charon, à bord d’un bateau géant Eperdu me faisait signe de le rejoindre Au nouveau Paradis appelé “Néant” « Un certain Charon » : Laforgue serait content. Lui aussi, à cloche-pied, elliptiquement, aimait à tourner en bourrique et en bourriche les expressions toutes faites (toutes faites de nos habitudes et de notre néant). Et le plus bel éloge que l’on puisse faire à Constantin Frosin n’est-il point que telle ou telle de ses trouvailles pourrait être interpolée, sans modification, dans les plus fortes, et sages et salubres et désespérées des pages de ce très vieux jeune homme que fut et demeure en nous et pour nous Jules Laforgue : Qu’es-tu devenu, hé, Dieu ? Où sont tes bienfaits d’antan ? Ou encore : Le tonneau des Danaïdes est mis en perce Oui, car, au fond, qui visse encore le mieux son robinet de bois, et même plusieurs, au flanc de tonneau-là, et qui n’est point le plus maniable ? La Fantaisie, évidemment ; et d’abord la plus saugrenue. Car la fin de l’histoire, le fin mot, c’est (et ce pourrait être encore et toujours du Laforgue) : Fallait-il qu’on naisse ?!... Cette poésie-ci, gambadante, notre revanche sur tout cela, ce rien. Constantin Frosin croit-il en beaucoup de choses ? en la beauté d’une femme, sans doute. Je le crois en tout cas de bonne compagnie, et bon conseil ; et point un clown forcément triste, dans le civil ; mais lucide, désillusionné et enjoué. Le fou des petits rois que nous sommes jouant à nos propres côtés de l’absurpoème comme d’un dernier hochet, ou apophtegme monacal en date. Et puis, j’ai pu faire plus d’une fois du Frosin dans les lignes qui précèdent, signe que tornades et torsades modernes et néo-médiévales et japo(jappe)ni(ai)santes et déniaisantes de son humour ne sont point toujours inaccessibles à qui se met à les pratiquer, quelque temps. *** *1: Le « Chevalier de Pas » (à entendre comme on voudra) fut le premier hétéronyme en date (et à nom français, s’il vous plaît) du jeune Fernando Pessoa. *2: Celui-ci me semble assez japonais, et je le verrais bien, dans son objectivité même, faite de vide, peinte d’un bout de pinceau par le vide subtil d’un artiste nippon : Parmi des branches dénudées, / Un nid solitaire : / Le vent s’y abrite… Qui prouve qu’il peut rester de la beauté dans cette poésie qui préfère la dérision aux grâces de la beauté. |
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