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Ahmad al Arabi
poetry [ ]

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by [Mahmud_Darwish ]

2008-08-22  | [This text should be read in francais]    |  Submited by Guy Rancourt



Ahmad al Arabi

depuis vingt ans il pose des questions
depuis vingt ans il voyage
pendant vingt ans sa mère l’a mis au monde
en quelques secondes
sous le bananier
avant de se retirer …
Il réclame une identité …
il est frappé par un volcan
les nuages ont voyagé et m’ont égaré
les montagnes ont étendu leurs bras et m’ont caché
je suis Ahmad l’Arabe, a-t-il dit
je suis la balle l’orange la mémoire
j’ai trouvé mon âme près de mon âme
je me suis éloigné de la rosée et de la vue sur la mer
et moi le pays réincarné
je suis le départ continu vers le Pays
j’ai trouvé mon âme remplie de mon âme …

Ahmad a pris possession de ses côtes et de ses mains
Lui le pas … et l’étoile
et du Golfe à l’Océan
de l’Océan au Golfe
ils aiguisaient leurs lames
Ahmad l’Arabe
est monté pour voir Haïfa
et sauter.
A deux mains de pierre et de thym
je dédie ce chant … à Ahmad l’oublié entre deux papillons
les nuages ont passé et m’ont égaré
et les montagnes ont étendu leurs bras et m’ont caché
Descendant de la blessure ancienne
… et l’année marquait la séparation de la mer
d’avec les villes de cendres …
j’étais seul
ô seul
Et Ahmad était l’exil de la mer entre
deux coups de feu
le camp grandissait donnant naissance à du thym
et à des combattants
le bras s’est raffermi dans l’oubli
la mémoire s’est exercée dans les trains qui s’en vont
sur les quais où il n’y a ni personne ni jasmin
la découverte de soi se faisait dans les voitures
ou sur la scène de la mer
dans la solidarité des nuits de prison
dans les courtes liaisons
et dans la recherche de la vérité

Dans toute chose Ahmad trouvait son contraire …
Ahmad est maintenant l’otage
la ville s’est dépêchée au devant de ses rues
pour venir le tuer
et de l’Océan au Golfe
et du Golfe à l’Océan
ils préparaient ses funérailles
et décidaient de la guillotine

Moi Ahmad l’Arabe – que soit le Siège ! –
mon corps sert de remparts – que soit le Siège ! –
je suis la frontière du feu, – que soit le Siège ! –
et moi je vous assiège à mon tour, je vous assiège
et ma poitrine servira de porte à tous – que soit le Siège ! –
Ce chant ne vient pas peindre Ahmad –
le bleu foncé dans la tranchée
je suis au-delà des souvenirs
Aujourd’hui est le jour du soleil
et de lys
ô enfant éparpillé entre deux fenêtres qui brouillent
mes messages,
résiste !
toute ressemblance est du sable
mais toi tu es bleu.

Je compte mes côtes :
le Barada s’échappe de mes mains
les berges du Nil m’abandonnent au loin
je cherche les limites de mes doigts
et toutes les capitales sont faites d’écume.
Ahmad frotte les heures dans la tranchée
Ce chant ne vient pas peindre Ahmad – le – brûlé en bleu
C’est Ahmad – le – cosmique dans ce réduit étroit
le déchiré le rêveur
il est la balle orange la violette de plomb
il est l’embrasement décisif d’un début d’après-midi
le jour de liberté.
ô enfant dédié à la rosée
résiste !
ô pays gravé sur mon sang
résiste !
maintenant je complète en toi mon chant
je rejoins ton siège
maintenant je complète en toi ma question
je nais de ta poussière
vs dans mon cœur
tu y trouveras mon peuple
devenu peuples multiples dans ton explosion.

Égaré dans les détails
je me suis fié à l’eau et me suis cassé
Faut-il que chaque fois qu’un coing soupire
j'oublie les limites de mon cœur
et me réfugie dans le siège pour affirmer mon identité
ô Ahmad l’Arabe !
L’amour ne m’a jamais menti
pourtant chaque fois que le soir est venu
je me suis retrouvé englouti dans une cloche lointaine
je me suis réfugié dans ma propre hémorragie
pour y définir à nouveau mon image
ô Ahmad l’Arabe !
je n’ai pas lavé mon sang dans le pain de l’ennemi
pourtant les routes proches lointaines
ont fui sous mes pas
chaque fois que j’ai apprivoisé une ville
elle m’a jeté ma valise à la figure
et je me suis réfugié sur le trottoir du rêve et de la poésie
ô combien ai-je marché vers mon rêve
devancé par des poignards
ô rêve et ville de Rome !

Tu es beau dans ton exil
et assassiné à Rome
et Haïfa
Ahmad est la montée du Carmel
l'origine de la rosée, le thym de chez soi
et la maison.
Ne le volez pas aux hirondelles
ne l’enlevez pas à la rosée
des yeux ont écrit son oraison funèbre
abandonnant mon cœur à l’écho
ne le volez pas à l’éternité
et ne dispersez pas ses cendres sur la Croix
il est la carte et le corps
et le feu qui brûle les rossignols
ne le volez pas aux pigeons
ne l’envoyez pas au devoir
ne faîtes pas de son sang une décoration
car il est la violette sertie dans son propre velours
… Avançant vers la guérison du rêve
il voit des banalités prendre forme de poire
les pays se détruire dans les bureaux
et les chevaux se débarrasser de leurs valises
tandis que transpirent les galets.
J’embrasse le silence de ce sel
je rends le discours du citron au citron
j’allume un cierge pour les fleurs
et pour le poisson séché
à partir de ma blessure ouverte,
les galets ont une transpiration et des miroirs
le bûcheron a un cœur de colombe.
Je t’oublie parfois pour que m’oublient
les agents de la sécurité
ô ma femme si belle,
toi qui coupes le cœur et l’oignon tendre
et t’en vas auprès de la violette
souviens-toi de moi avant que je n’oublie mes mains.
Sur le chemin de la guérison du rêve
les chaises sont prises entre mes arbres et ton ombre …
Ils s’abattent sur ta blessure
comme des mouches saisonnières
et y disparaissent comme des voyeurs
souviens-toi de moi avant que je n’oublie mes mains !
Mes efforts vont aux papillons
les rochers sont mes messages sur terre :
Troie n’est pas mon lieu
Massada n’est pas mon temps
je m’élève de la sécheresse du pain
et de l’eau réquisitionnée
du cheval perdu sur le chemin de l’aéroport
et de l’air de la mer, je m’élève
des éclats d’obus auxquels mon corps s’est accoutumé
je m’élève des yeux de ceux qui arrivent
et des couchers de soleil sur la plaine
je m’élève des caisses de légumes
et de la force des choses, je m’élève …
j’appartiens au ciel original et aux pauvres des ruelles
qui chantent
qui résistent
et qui tiennent
et qui tiennent
Le camp formait le corps d’Ahmad
Damas formait les paupières d’Ahmad
le Héjaz formait l’ombre d’Ahmad
le Siège est devenu le passage d’Ahmad
au-dessus des cœurs de millions de prisonniers
le Siège est devenu l’assaut d’Ahmad
et la mer sa dernière balle !
ô la taille du vent
ô la douce semaine !
ô nom des yeux ô écho de marbre
ô Ahmad qui est né de la pierre et du thym !
Tu diras : non
tu diras : non
ma peau est l’habit du paysan qui viendra des champs de tabac abolir les capitales
tu dis : non
mon corps est le manifeste des ouvriers des industries légères
des répétitions … et des épopées vers la conquête de l’étape
et tu dis : non
ô corps marqué par les flancs des montagnes
et des soleils à venir !
et du dis : non
ô corps qui épouse les vagues au-dessus de la guillotine
et tu dis : non
et tu dis : non
et tu dis : non

tu meurs près de mon sang et revis dans la farine
nous avons créé le jasmin
pour que le visage de la mort disparaisse de nos mots
va loin dans les nuages et les plantations
il n’y a pas de temps pour l’exil et pour ce chant …
jette-toi dans le courant de la mort qui nous entraîne
pour que nous tombions malades de la patrie simple et
du jasmin probable
va vers ton sang qui est prêt à se répandre
va vers mon sang unifié à ton siège
il n’y a pas de temps pour l’exil …
ni pour les belles photos qu’on accroche
sur les murs des avenues
ni pour les funérailles
ni les vœux

Les oiseaux ont écrit leurs oraisons funèbres et m’ont égaré
les champs se sont dénudés et m’ont accueilli
va loin dans mon sang ! va loin dans la farine !
pour que nous tombions malades de la patrie simple et
du jasmin probable
ô Ahmad le quotidien !
ô nom de ceux qui sont à la recherche de la rosée
et de la simplicité des noms
ô nom de l’orange
ô Ahmad l’ordinaire !
comment as-tu effacé la différence verbale
entre le rocher et la pomme
entre le fusil et la gazelle ?
il n’y a pas de temps pour l’exil et pour ce chant
Nous irons dans le Siège jusqu’à la fin des capitales
va en profondeur dans mon sang
deviens des échelles
ô Ahmad l’Arabe … résiste !!
il n’y a pas de temps pour l’exil et ce chant

Nous irons dans le Siège
jusqu'au quai du pain et des vagues
voici mon domaine, le domaine de la patrie immuable :
la mort devant le rêve où un rêve se meurt sur les slogans
va en profondeur dans mon sang
et va en profondeur dans la farine
pour que nous attrapions la maladie de la patrie simple
et du jasmin probable

il a les détours de l’automne
il a les testaments de l’orange
il a les poèmes des blessures
il a les rides des montagnes
il a les applaudissements
il a les noces
il a les magazines illustrés
il a les oraisons réconfortantes
les affiches
le drapeau
les progrès
la fanfare
les faire-part
et tout et tout et tout
quand il découvre son visage à ceux qui fouillent les traits de ce visage
ô Ahmad l’insoumis !

Comment nous as-tu habité pendant vingt ans et as-tu disparu
et ton visage est-il demeuré dans le mystère
comme le midi
ô Ahmad secret comme le feu et les forces
fais apparaître ton visage populaire en nous
et lis ton dernier testament ?
ô spectateurs dispersez-vous dans le silence
et éloignez-vous un peu de lui pour pouvoir retrouver
en vous le blé et deux mains nues
éloignez-vous un peu de lui pour qu’il lise son testament
sur les morts … s’ils meurent
pour qu’il jette les traits de son visage sur les vivants
… si vivants ils sont !
Ahmad mon frère !
tu es l’adorateur et l’adoré et le lieu de l’adoration
quand vas-tu témoigner
quand vas-tu témoigner
quand vas-tu témoigner ?

(Opéra poétique écrit par Mahmoud Darwich
composé et dirigé par Marcel Khalifé
Vocals : Marcel Khalifé and Oumayma el-Khalil
Chorus : al-Mayadine
Recording : by Pass Studios, Beirut, Lebanon
Mastering : Sunrise Sound Studios, Houston, TX, USA
Producer : Nagam Records, Inc.
1984
Livret traduit de l’arabe (Palestine) par Etel Adnan)


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