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Les Fauchard et les Duchemin
prose [ ]
Maudite télévision

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by [BOKAY ]

2013-04-16  | [This text should be read in francais]    | 



Les fauchard et les Duchemin
Maudite Télévision !
Les Fauchard, c’est nous. Je veux dire : mes parents, ma grande sƓur et moi. Ah ! J’allais oublier grand-mĂšre, et biscuit notre petit chien. Mes parents tiennent une Ă©picerie Ă  Paris, rue du Cherche Midi.
Les Duchemin, c’est eux. La boucherie juste en face. Il y a le patron, tout le monde l’appelle « Duchemin », mĂȘme sa femme. Ensuite, il y a la patronne, entre nous on l’appelle « La mĂšre Duchemin ». Ils ont deux jumeaux de treize ans, des intrĂ©pides, pas une journĂ©e sans qu’ils se prennent une volĂ©e.
Pendant qu’il dispose les fruits et lĂ©gumes sur les cageots avec d’infinies prĂ©cautions, mon pĂšre me fait rĂ©citer mes tables. La pire c’est toujours la table de 7. Ah celle-là ? A chaque fois, je me fais avoir. 7 fois 8 ? Je rĂ©flĂ©chis quelques secondes et rĂ©ponds fiĂšrement : « 56 ». Puis dans la foulĂ©e il continue : « 8 fois 7 ? Je suis dĂ©stabilisĂ©, je ne sais plus, alors je prends une grande aspiration et je me concentre. Je n’ai pas encore terminĂ© mes calculs que la porte s’ouvre violemment, c’est la mĂšre Duchemin qui, tout essoufflĂ© pousse la porte du magasin.
---Ca y est, Maurice, elle est arrivée, elle est là.
Mon pĂšre se retourne en direction de la porte, tend son cou vers la mĂšre Duchemin et reste immobile.
--- Qu’est-ce qu’il y a Arlette, un malheur est arrivé ?
--- Non, c’est notre tĂ©lĂ©vision, on vient de nous l’a livrer, vous verriez comme elle est belle !
---Ah oui
 C’est vrai, dit mon pĂšre, vous aviez commandĂ© une tĂ©lĂ©vision !
---Et on est les premiers du quartier Ă  l’avoir ! Il suffit juste d’installer l’antenne et ça marche ! C’est Duchemin qu’est content ! Parait mĂȘme qu’il y a du foot
Alors pensez !
---On passera la voir ce soir, dit mon pĂšre.
---Excusez-moi, mais faut que je retourne à la boutique, dit la mùre Duchemin, y’a du monde. Alors à ce soir.
Mon pĂšre regarde la mĂšre Duchemin sortir de l’épicerie, traverser la rue en se tortillant, toute boudinĂ©e dans son tablier trop court, et s’engouffrer dans la boucherie.
---La TĂ©lĂ©vision
On aura tout vu avec eux, dit mon pĂšre. Et quand vont-ils trouver le temps de la regarder leur tĂ©lĂ©vision ? Non, tout ça c’est de la frime, c’est juste pour montrer qu’ils sont les plus riches du quartier, mais tu verras, gamin, ils en reviendront de leur tĂ©lĂ©vision.
Le soir mĂȘme, le dernier client parti, mon pĂšre ferme l’épicerie et, en file indienne, nous traversons la rue pour nous rendre en face Ă  la boucherie ‘’Duchemin’’. Ils sont tous les quatre autour du prĂ©cieux appareil. Les jumeaux tripotent les boutons, la mĂšre Duchemin est en extase et son mari s’use les yeux sur la notice de montage de l’antenne.
--- Vous avez-vu quel bel appareil, dit la mĂšre Duchemin, on l’a payĂ©e chĂšre, mais comme on dit, on en a pour ses sous !
---Et comment que vous allez faire pour l’antenne ? demande mon pùre.
---A ce propos, Fauchard, j’allais vous demander si vous pourriez me donner un coup de main pour l’installer, tout seul c’est pas possible et à part vous
C’est pas une affaire de femme et les jumeaux sont trop jeunes.
Bien sĂ»r, mon pĂšre accepte, mais moi je ne comprends pas pourquoi ils ne l’ont pas fait installer leur antenne, puisqu’ils sont si riches ? C’est peut-ĂȘtre qu’ils ne sont pas si riches que ça. En tout cas, c’est bizarre ! A tourner comme ça autour de sa tĂ©lĂ©vision, la mĂšre Duchemin me fait penser Ă  un chat qui s’amuse avec une pelote de laine. Je suis certain que chaque client qui entre dans la boucherie ressort la tĂȘte pleine de tĂ©lĂ©visions, d’antennes, de programmes et de je ne sais quoi encore. Dommage que nous, on ne soit pas aussi riche qu’eux. A chaque fois qu’il y a quelque chose de nouveau, c’est pour eux. Mon pĂšre lui, il dit rien, on a l’impression qu’il s’en fiche totalement et qu’il s’amuse de les voir se passionner pour ‘’leurs nouveaux joujoux’’ comme il dit. N’empĂȘche, moi j’ai toujours l’impression qu’on n’est pas Ă  la hauteur.
VoilĂ  une semaine que la tĂ©lĂ©vision fonctionne chez les Duchemin. Mon pĂšre a aidĂ© Ă  installer l’antenne et c’était pas de la tarte, a-t-il dit. Afin que dans le quartier personne n’ignore que la boucherie a la tĂ©lĂ©vision, la mĂšre Duchemin a autorisĂ© les enfants des clients Ă  venir s’assoir sur un banc dans la salle Ă  manger et Ă  regarder le prĂ©cieux Ă©cran. Et en plus, pour bien faire voir qu’on entre dans la haute sociĂ©tĂ© de la rue du Cherche Midi, la mĂšre Duchemin se paie mĂȘme le luxe d’offrir des rondelles de saucisson aux enfants. La nouvelle se rĂ©pand comme une trainĂ©e de poudre et les enfants sont de plus en plus nombreux Ă  ‘’ aller voir la tĂ©lĂ©vision chez la mĂšre Duchemin’’. Comme ils disent. Le succĂšs est tel que les Duchemin ont dĂ» rajouter un deuxiĂšme banc et qu’il y a encore des enfants assis Ă  mĂȘme le sol. Quand se pose la question de rajouter un troisiĂšme banc, Duchemin commence Ă  rĂąler.
---Tu trouves pas Arlette, que ça fait beaucoup de gosses tous les soirs ? dit-il un jour, on est plus chez nous.
---On ne peut quand mĂȘme pas leur dire de ne plus venir, dit la mĂšre Duchemin, ce sont les enfants de nos meilleurs client, j’ai pas envie qu’ils changent de boucherie, on a des traites Ă  payer, en ce moment les temps sont durs et ça se ressent sur le commerce.
--- N’empĂȘche que le soir, avec cette tĂ©lĂ©vision, on est plus chez nous, faut faire quelque chose !
---Ca va leur passer Duchemin, tu verras, ils vont se lasser.
Ça fait un mois que les Duchemin ont leur tĂ©lĂ©vision et chaque soir, c’est une vĂ©ritable invasion, surtout que les gamins ont pris l’habitude des rondelles de saucisson. La mĂšre Duchemin se voit mĂȘme dans l’obligation de refuser du monde, mais elle comprend vite que la situation est dĂ©licate, elle ne peut pas dire oui Ă  certains et non Ă  d’autres, tous sont les enfants de clients, alors ils se serrent. La tension monte dans le couple des Duchemin, surtout que les jumeaux n’arrangent pas les choses, ils ont fait un concours Ă  qui inviterait le plus de gamins. Un dimanche matin, Duchemin vient prendre l’apĂ©ritif Ă  la maison.
---Ca peut plus durer Fauchard, c’est pas une vie. Tous les soirs on a une ribambelle de gosses Ă  la maison et Arlette elle dit qu’on ne peut rien faire. Je commence Ă  en avoir assez de cette tĂ©lĂ©vision !
Je regarde mon pĂšre, ses yeux s’arrondissent lĂ©gĂšrement et les deux extrĂ©mitĂ©s de ses lĂšvres se redressent en formant un lĂ©ger pli, juste au coin. C’est sĂ»r, il prĂ©pare quelque chose, je sens la riposte arriver.
---Vous n’ĂȘtes pas content de votre tĂ©lĂ©vision, Duchemin, Je croyais

---C’est qu’avec cet appareil de malheur, on est plus chez nous. Faut supporter tous les gosses du quartier et en plus ils m’avalent deux saucissons tous les soirs. Moi qui croyais pouvoir regarder les matchs de foot tranquillement, j’en ai pas vu un seul ! Y’en a que pour eux, et avec ça les jumeaux qui sont Ă©nervĂ©s comme pas un ! Non, je vous le dis Fauchard, ça peut pas durer, mais je ne sais pas comment faire pour me dĂ©barrasser de cette maudite tĂ©lĂ©vision.
---Pourquoi vous ne la revendez pas, elle est toute neuve ?
---Qui voulez-vous qui m’achĂšte ça, je vais perdre de l’argent, et en plus Arlette elle, elle voudra jamais la vendre sa tĂ©lĂ©vision, elle aura trop peur que les gens pensent qu’ils nous l’on reprise parce qu’on n’arrivait pas Ă  la payer.
---Vous n’avez qu’à la mettre en panne, dit mon pĂšre, comme ça, plus gosse chaque soirs et vous retrouvez votre tranquillitĂ©.
---Et comment que je fais pour la mettre en panne ?
--- Facile, vous dĂ©branchez lĂ©gĂšrement le cĂąble d’antenne jusqu’ Ă  ce que l’image disparaisse et
hop ! Ni vu ni connu !
--- Ben vous alors ! Vous avez une sacrée idée là, je vais essayer.
Duchemin reprend un dernier pastis et nous quitte avec un large sourire. Il place son indexe droit devant sa bouche.
--- Et rien à Arlette, comme on dit : « motus et bouche cousue ».
Une semaine passe, on commençait à oublier les Duchemin que la porte du magasin s’ouvre tout d’un coup. C’est la mùre Duchemin.
--- Ils nous ont roulĂ©s avec leur tĂ©lĂ©vision, dit-elle. C’est des voleurs, elle est toujours en panne !
---Vous n’avez qu’à la faire rĂ©parer, dit ma mĂšre.
---Ca fait quatre fois qu’ils viennent et ils ne trouvent pas la panne. Quand ils repartent elle fonctionne bien, mais une heure aprĂšs elle marche plus ! Maintenant, on a une tĂ©lĂ©vision qui ne marche plus !
Mon pÚre, qui était dans la réserve rentre dans le magasin et surprend la conversation.
---Vous n’avez qu’à la revendre votre tĂ©lĂ©vision si elle ne marche plus, dit mon pĂšre.
---Qui voulez-vous qui nous achÚte une télévision qui ne marche pas ?
---Ca dépend combien vous la vendez, dit mon pÚre.
---Si quelqu’un la veut, je la laisse pour deux fois rien
 Pour
Disons cinq cent francs. Mais qui voulez-vous qui achùte ça ?
--- Qui ? Eh bien moi, pour cinq cent francs, je vous la prends
Mon pùre tend sa main droite, la paume en l’air. La mùre Duchemin tape dessus
---Marché conclu dit mon pÚre.
La tĂ©lĂ©vision est installĂ©e chez nous depuis plus d’un mois, elle fonctionne trĂšs bien. Quand il y a un match de foot, Duchemin vient le voir chez nous.
---But ! dit mon pùre ! Et aussitît il reverse deux pastis en ajoutant, ça s’arrose !
Duchemin tourne la tĂȘte vers mon pĂšre.
--- Qu’est-ce qu’on est bien ! Vous ĂȘtes un gĂ©ni Fauchard ! Un gĂ©ni !
Jean-Jacques Boquet

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