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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2016-01-15 | [This text should be read in francais] |
Illustration : Autoportrait aux lunettes de Dédale
(R.Reumond 2016) Préfabriqués par nos ancêtres, par la famille et les amis, l’école, les institutions et les systèmes dans lesquels nous sommes fatigués comme salade défraîchie, nous habitons un grand dédale d’habitudes. Nos manières d’être, de faire et de penser relèvent de cette préfabrication, nous sommes même prédisposés pour être préfabriqué clefs et pensées sur porte afin d’être prêt pour survivre dans ce labyrinthe des habitus. Nos états d’âme, d’esprit et de conscience n’échappent pas à ces règles comme à cette malédiction matricielle qui, dès la naissance nous estampille des pieds à la tête comme un sceau de société, telle une suite logique d’algorithmes qui nous détermine à 99% , ou une multitude de signatures de la culture avec un grand Cul, et une lourde empreinte sociale qui définissent l’une comme l’autre, qui nous sommes, croyons être ou devons devenir, sachant que notre véritable identité dépasse toute prédétermination. Comme les prisonniers de la crotte à Platon, notre liberté dès l’origine est conditionnelle, ou plus exactement conditionnée à la chair qui nous vêt, aux identités multiples qui nous accoutrent et aux appartenances qui sont nôtres… C’est ainsi que toute la fange homo sapienne, tout le limon de notre préhistoire comme la boue de notre histoire personnelle nous colle à l’ADN comme aux godillots, car c’est bien connu, entre plaisir et déplaisir, là où il y a du gène, il n’y a pas de gêne ! Je comprends mieux pourquoi j’ai ce goût de gadoue dans la bouche après avoir regardé ou écouté les informations ; pourquoi je suis vaseux dès le matin quand les oiseaux m’éveillent ; pourquoi j’ai des LEGO colorés et des logos qui s’emboîtent dès que je pense ; pourquoi je ne peux me libérer de ces routines qui sont miennes comme des assuétudes aux psychotropes. Oui, pauvre de moi et de mes dédales, pourquoi cette accoutumance à l’habitus, pourquoi ces habitudes accoutumées, ces TOC chroniques, ces rechutes permanentes, ces pensées et ces idées fixes, ces clichés mille fois répétés comme un vieux disque rayé ? Métro, boulot, loisir… même quand je rêve, l’habitus m’habite comme un songe de mémoire vive ; même quand je fais l’amour, que je mange, que j’échange… J’agis et je réagis par usage et coutume, ou par routine et tradition, mais toujours avec les mêmes croyances, les mêmes convictions morales, les mêmes valeurs préprogrammées comme des images d’Epinal, et les mêmes certitudes comme des cartes perforées ou des cartes postales … J’habite bien un dédale d’habitudes plus tenaces les unes que les autres. Ne suis-je pas moi-même « une grosse habitude ordinaire », qui se regarde dans le miroir labyrinthique comme narcisse se mirait dans l’eau ? Ne soyons pas trop fiers ! Il ne faut pas se fier aux apparences, sinon nous ne voyons que des murs linéaires et duels où nous sommes nous-mêmes nos propres impasses dans des culs-de-sac cu terreux. Comment en suis-je arrivé là , au cœur de ce labyrinthe sans entrée et sans sortie, dans ce dédale qu’il me faut démonter pièce par pièce, et déconstruire comme on vide la mer ? Parce que cette familiarité avec mes habitus comme une belle amitié avec un animal de compagnie me rassure, qu’elle me rend normal comme les autres automates. Ne suis-je pas un robot moralement programmé, un pantin aux mains d’autres marionnettes aussi traditionnelles, conservatrices ou progressives, de gauche ou de droite… c’est machinal, c’est automatique, c’est même cybernétique ! C’est comme une pensée ou acte réflexe, celui qui meut les généralités, celui qui régule ces banalités quasi instinctives qui nous font vivre ou survivre; telle une pulsion du stéréotype, une platitude d’écran plat … j’automatise donc « je suis » sans prendre conscience de la chronicité de mes habitus laïques ou religieux, sans me rendre compte de la morbidité de mes inconsistances dans la consistance du labyrinthe dans lequel « je suis » engagé. Dans les méandres et dédales des apparences, des jugements, des vieux lieux communs, des idées folles mille fois ressassées, des fantasmes mille fois revisités, des paroles mille fois refaites, défaites et surfaites, « Je suis », je suis le Pontife des poncifs sentimentaux et des pensées de masse, je suis le Primat des évidences à pleurer toutes les larmes du monde… Je suis un « homo habitus », un homme des habitudes ! C’est un rituel coutumier qui me lève dès le matin, c’est un rite habituel qui me nourrit au cours de la journée, c’est un programme préétabli qui règle mes relations aux autres et à moi-même. C’est un jeu de réflexes conditionnés bien connu qui me fait agir, réagir, résister, répondre, entreprendre ou même militer. j’ai un logiciel ad hoc qui fonctionne depuis la nuit des tempes grises et des os rabougris ; avec mon software bien installé dans son hardware biologique bien confortable, je ne suis qu’un homo sapiens en mal de biens consommables et de nouvelles mises à jour. Préfabriqué comme un meuble IKEA, dans le dédale de mes habitudes, bien heureux de mon vernis et de ma vie d’objets et marionnettes affectée, je regarde le monde de la hauteur de toute mon ignorance. Et pourtant, ces redites sont bien fatigantes, lassantes même, comme des échos noueux, des fers aux pieds ou des menottes aux mains. Bien que ces rabâchages intérieurs et extérieurs soient exténuants, nous nous y accrochons comme à cette espérance qui traîne tout au fond de la jarre, telles ces rengaines qui nous tournent dans la tête, ces nostalgies de l’enfance et ces injonctions parentales, ces pensées magiques et ces rabâchages d'âge en âge que l’on se passe et repasse comme un relais de génération en génération, avec les mêmes remarques critiques, ou les mêmes compliments, afin de ne pas cesser de tourner en rond. C’est toujours le même mode d’emploi, les mêmes généralités, les mêmes répétitions sur les mêmes scènes, avec des décors identiques à ceux des précurseurs, des acteurs et des auteurs différents, mais toujours analogues aux précédents. C’est toujours les mêmes idem et les mêmes items mêmement répétés, mêmement bissés et trissés à l’infini dans un miroir sans teint et sans fond. C’est toujours les mêmes quêtes d’absolu, de liberté et de vérité… Partout autour de nous, ça scanne, ça réplique, ça copie ou ça calque… Parce que la fonction première chez l’homo sapiens est « la reproduction » et que cette fonction de reproduction est reproductible à l’infini et démesurée comme le nombre de ses représentations, créant les organes nécessaires à cette activité première, organes de reproduction qui priment chez les mammifères comme la fonction d’imitation triomphe chez le singe nu. Pourtant, copier comme les Chinois ce n’est pas innover, c’est plagier sans scrupule, c’est voler et convoler en de multiples noces dans l’attende d’un divorce, c’est récidiver comme les mécréants ou comme d’inguérissables potaches qui tripleraient ou quadrupleraient leurs années scolaires jusqu’à leur retraite à soixante ans. Reproduire, c’est tourner en ridicule la vis sans fin, c’est se rouler dans la boue ou pirouetter dans sa roue de hamster. Le labyrinthe des habitus, c’est Le cycle de l'absurde d’Albert Camus ou Le mur de Jean-Paul Sartre, c’est le mythe de Sisyphe ou celui des Danaïdes condamnées aux Enfers à remplir sans fin les mêmes espaces, la même besogne, c’est remonter le même rocher, remplir les mêmes paniers percés ou les mêmes tonneaux troués, avec ces mêmes et sempiternelles réponses et solutions qui sont nos problèmes. Mais dans cette dynamique reproductible, nous avons oublié que nous sommes Tartare lui-même avec ses portes de « faire » ; Tartare et son éreintant seuil d’airain, et que nous sommes nous-mêmes condamnés à pratiquer de long en large les mêmes corridors, à faire et refaire les mêmes tâches et les mêmes chemins ; derechef, avec la même insistance, la nature de l’habitude revenant à la charge, la culture de l’habitude remettant sur la scène le même tapis usé, les mêmes thématiques de guerre et de paix, de bonheur et de malheur comme des duels (dualités) ou le ciel et la terre semblent se liguer l’un contre l’autre de façon perpétuelles, donnant raison aux guerres mythiques qui opposaient jadis les dieux des antiques idées et les hommes premiers C’est comme le syndrome de la reproduction - répétition, avec ces obsessions bien rodées, ces questions et réponses tartes à la crème… de redites. À l’horizon, ce ne sont que des réflexes et des complexes récurrents, toujours les mêmes, encore et encore mis en lumière, mille fois répétés à n’en plus finir de recommencer à reproduire. Je voudrais que toute ma vie soit comme un chant premier, comme un hymne à la première et unique fois. Comme la rose se déboutonne au soleil, comme on ouvre les yeux pour la première fois, paupières roses et peaux d’aube dans un premier rayon de chaleur après l’hiver ; pareillement, je voudrais m’éveiller ! Comme la lumière qui fut une première fois et qui depuis… fuse, remplissant l’espace d’énergie, non par habitude, non par obligation ni par devoir, mais simplement pour être comme un premier cri, comme un premier trait qui se fait signe , un premier pas dans la poussière de Lune ou comme un premier mot dans la bouche de mon petit fils Clarence, une toute première comme au cinéma, crue, vive, claire et nette comme toute première fois. Je hais foncièrement ces choses ou ces causes que l’on considère comme vraies par habitude, justes par tradition ou belles par conviction – j’exècre la normalité bourgeoise et sans intelligence; tous ces extrêmes nauséabonds, ces lieux communs qui sont des lieux labyrinthiques ou des dieux de masse, avec leurs murs dressés comme des vits de mâles dominants, et leur dédale de croyances reçues en héritage dès le berceau pour nous bercer d’illusions plus tenaces que des plumes au goudron. Si dans la nuit noire tous les chats sont gris, même dans la pleine lumière toutes les vérités ne sont pas vraies ! Parce que dans l’habitude, IL N’Y A PLUS DE CHOIX, et donc plus de véritable responsabilité, plus de terrain de réflexion… Alors, une fois seulement, une première et dernière fois tout à la fois, pour ne pas en prendre l’habitude, je voudrais escalader le versant nord, le moins fréquenté des versants de la réalité ; sonder avec mes ongles usés la part invisible du réel, celle qui se situe dans l’angle mort de nos réalités habituelles. J’aimerais aussi , au-delà des apparences et des fonds de commerce de l’homo sapiennité, me lancer à corps perdu à l’opposé des terres d’accoutumance comme dans un grand vide créateur, dans une première extase, une genèse ou tout devrait être une véritable création comme une toute première fois, une genèse qui échapperait à toute définition et à tous les clichés. Pour mettre fin à cette clôture labyrinthique, à cette tarte de Tartare, à cette reproduction qui semble être le seul mouvement perpétuel vraiment réitéré, je voudrais une fois seulement me laisser faire l’amour par l’éternité ; je voudrais une seule et unique fois traverser la Voie lactée sur un cerf-volant d’étoiles et écrire avec mon sang et mon bon sens un seul et unique livre avec seulement quelques mots qui disent l’essentiel. Pour arrêter l’habitude tout net, toute crue, sur le palier du temps, je voudrais épouser tous les pigments pour me laisser peindre un seul et unique tableau comme un unique autoportrait de nous-mêmes, telle une seule et belle page d’humanité. Pour mettre un frein à ces habitudes mortifères, j’aimerais lâcher prise et changer carrément de peau et de nom pour rencontrer de nouveau comme une toute première fois mon épouse comme on croise dans un moment unique, l’Esprit cet inconnu. Je voudrais jeter l’ancre dans l’inhabitude pour mouiller une fois pour toutes sur des terres inconnues et me perdre ainsi entre les jambes de l’infini – une fois - afin de suspendre dans un vol unique, le temps et l’espace, et donc arrêter ce perpétuel mouvement de répétition. Oui, frères et sœurs d’habitus, compagnes et compagnons de labyrinthe, je voudrais interrompre le jeu des généralités, des jugements, des normes et faire exception à la règle – une fois - dire halte ! pour l’unique occasion, rejoindre la mer où l’humanité est une dans des ciels étrangers est exclure toute habitude de nos vies en cultivant la différence et l’exception. Puis, comme un novice ou un apprenti inexpérimenté, j’aspirerais à faire - une seule fois - de la vraie nouveauté en plongeant la tête la première dans la source originelle où tout était un. Gavé de jugements à l’emporte-pièce, saturé de manies délétères, j’affectionnerais tout particulièrement, une bonne fois pour toutes, de prendre la planète dans mes mains polluées pour lui demander pardon. Et une fois pour doute, je voudrais ne rien remettre en question ou en solution pour jouer les Fourberies de Scapin sur les planches d’un bidonville ; dire à haute voix : Malheureux qui comme Ulysse ; Monter au dernier étage avec l’Ascenseur pour l’échafaud afin de voir le paysage premier et pousser un cri primal comme Tarzan sur le haut d’un balcon. Je voudrais renaître à la vie - prendre la lumière, une fois, À l’ombre d’une jeune fille en fleurs, être le Roland furieux et celui de la chanson - et voyager jusqu’au bout de la nuit avec le Petit chaperon rouge – une fois seulement – j’aimerai crier devant les champs de bataille : Ô rage ! ô désespoir ; et dans le grand théâtre du monde, présenter en exhibitionniste repenti – une fois – le visage de la multitude face à celui de la solitude ; et puis, je tendrais l’oreille – une fois – pour ouïr les Symphonies pastorale et fantastique, et rencontrer dans un désert au cœur de la ville le Petit Prince et Le Prophète pour qu’il m’enseigne l’un et l’autre la sagesse. Une fois seulement – je voudrais songer à cette nuit d’été et à ce temps retrouvé derrière une habitude oubliée. Une fois, je voudrais vous parler de la ville dont le prince est un enfant et de cette planète où les enfants tombent sous les balles. Vingt mille Lieux sous les mers, j’aimerais voyager - une fois - avec la Belle et la Bête de mon enfance ; promener la chèvre de Monsieur Seguin dans la constellation du bouc ; et une fois seulement, croiser à la Porte des Lilas, les Amants de Vérone ou ceux du métro. Je voudrais bien vivre une journée – une seule - avec le comte de Lautréamont et une heure seulement avec Charles Baudelaire sur les ailes de l’Albatros – une fois seulement, faisant fi des habitudes, je voudrais changer de peau avec Edgar et cueillir les Fleurs du mal pour les offrir à la Justine de Sade. Une fois seulement, mais en douce et en douceur, avec grâce et délicatesse, je voudrais, dans « les champs sur l’horizon », dire Liberté, une fois avec Paul Eluard lui-même et serrer la main d’Aragon dans les sillons, et embrasser Elsa dans les blés nouveaux – une fois - passer les miroirs avec Orphée de Jean Cocteau et Alice, courir dans le bois de Vincennes avec Radiguet – avec Valéry et Gide, je voudrais, une seule fois, pleurer des sanglots longs sans violon sur la tombe de Rimbaud – et un vendredi, avec Tournier, je tournerais la page des habitudes en jouant à cache-cache avec Sagan et d’la trompette avec Boris – une fois – faisant Cosette avec Colette nous irons nous promener du côté de Montfermeil ; puis du côté de Maupassant, avant de rencontrer les fantômes de Flaubert, de Zola et d’Honoré de Balzac – une fois seulement - je serais le plus heureux des déshabitués en Mémoire d’Hadrien, buvant l’instant présent sur la tombe de l’habitué anonyme, allumant la flamme avec mon cœur – en mémoire de Voltaire et en honneur d’Hugo, avant de redevenir Roland et que reviennent au galop les habitudes comme reviennent les emmerdes comme chez toute laitière porteuse d’un Pot au lait. (...) Roland Reumond Janvier 2016 |
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