Histoires normandes non encore écrites (I)


Le dimanche est traditionnellement le jour où les rues des localités françaises se remplissent de cyclistes. Les muscles tendus, portant leurs casques bien fixés, diffusant une certaine joie secrète à défiler à deux, à trois de front, ils se faufilent dans le splendide paysage tout en l’animant. La France est un pays qui possède toutes les vertus d’un aphrodisiaque inconnu pour la dégustation duquel personne n’est jamais assez préparé. Au final, enchanté, le voyageur rentre chez lui comme chez un amical inconnu. Je prends la direction du nord-est. D’Etretat à Dieppe, la route serpente le long du bord de mer, entre d’immenses champs plantés de maïs et de lin, coupés de temps en temps par des forêts de chênes dorés ou de châtaigniers bleutés, des vallées pleines d’hortensia et les jardins multicolores des corps de ferme cultivés dans un style océanique. Rien n’est laissé au gré du hasard, chaque morceau de terre acquiert une personnalité à laquelle l’homme contribue en permanence par un labeur incessant. Cultiver la terre ici est une aventure industrielle bien contrôlée, chaque culture succédant à l’autre après sa moisson, d’une variété différente, pour restituer sans cesse la souplesse et la jeunesse de la terre. Le paysage rural normand est célèbre pour ses immenses prairies grasses où broutent les troupeaux de vaches élevées pour le lait ou pour la viande, et où se promènent fastueusement les chevaux de race des haras. Des collines douces, des pierres au lever du soleil qui étonnent tels des personnages de contes, de riches forêts qui se déploient comme sous l’inspiration savante d’un artiste académique, de grands tableaux en relief gravés sur les vieilles roches du Massif Armoricain, tout ceci génère un paysage presque irréel à la ressemblance alpine dans ce relief imprévisible. Les villages apparaissent et disparaissent dans l’air humide qui étale au ras de la terre un deuxième relief quasi supra réaliste : la maison normande est elle-même une œuvre d’art, entretenue avec soin mais aussi avec de grands efforts de la part des gardiens du patrimoine monumental normand, profondément affecté par les bombardements allemands de 1940, et de ceux américains de 1944.



Un sentiment de paix m’accompagne dans l’immensité de ce paradis terrestre consolidé par des français, connus surtout pour leur pensée positive et leur esprit jovial, bonhomme, tendant à plaisanter, qui semble fréquemment superficiel, mais qui n’est en réalité qu’une façon aristocratique de regarder le monde d’un œil tendre. Comme autrefois peut-être, tout aussi enchanté, à cheval sur une bicyclette rose, parcourant chaque jour de son enfance, André Raimbourg, célèbre fils de Normandie et acteur français bien connu, qui devint Bourvil, du nom du village Bourville où il était né et avait été élevé. Une affiche m’indique l’horaire des festivals et des expositions qui vont, entre le 5 et le 20 août, honorer la mémoire du célèbre acteur, musicien et homme de spectacle dont le nom a fait le tour du monde. Le belge Pascal Delmotte, un des collectionneurs les plus connus au monde des souvenirs de Bourvil présentera cette année une thématique extrêmement séduisante : affiches et objets en rapport avec la filmographie de Bourvil et de Louis de Funès, un autre monstre sacré du cinéma français, à l’époque de nos grands-parents et parents traditionnels. On commémorera bientôt un autre bon ami de Bourvil, le sculpteur Roger Douville. Les statues exposées sur des places baignées par de torrides soleils dans quelques centres culturels de la Côte d’Albâtre feront le délice de nombreux touristes et locaux.

Délaissant un peu la route du littoral et abordant le tracé côtier le long d’une route rétrécie, bordée d’arbres immenses et de maquis ombragés, je me suis réveillée, comme dans un rêve, dans le célèbre village de Varengeville-sur-mer, recherché et apprécié des artistes de tous temps, pour les dentelles de ses hautes falaises dont la région borde l’immensité de la mer. L’église et le cimetière marin, dédié à Saint Valéry, défient les plate-formes de pierre resplendissante à hauteur desquelles on peut admirer un monument roman que les gens du cru appellent Le tombeau du petit doigt de Gargantua. Pas très loin, s’étendant avec simplicité sur une surface immensément blanche, ondoie la tombe du célèbre peintre Georges Braque (1882-1963), qui choisit de passer sa vieillesse dans ce paradis et qui réalisa lui-même quelques-uns des vitraux et des tableaux à l’intérieur de l’église. Au chevet, diaphane, une mosaïque représentant un oiseau géant, aux ailes déployées. En plein vol, son élan se brise. C’est la véritable image de l’artiste qui essaie toujours que dure le rêve, sans jamais atteindre la perfection désirée.





A mes pieds, soudain, la mer change légèrement de couleur, comme un œil clignant paresseusement, étonné. Je me dis qu’en face de la beauté, il faut se résigner humblement.


(Traduction : Nicole Pottier)



Angela Furtună
Ecrivain, publiciste
Membre de l' Union des Ecrivains de Roumanie