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Les Fauchard et les Duchemin
prose [ ]
le pique-nique

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by [BOKAY ]

2013-04-24  | [This text should be read in francais]    | 



Les Fauchard et les Duchemin (le pique-nique)

Les Fauchard, c’est nous. Je veux dire : mes parents, ma grande sƓur et moi. Ah ! J’allais oublier grand-mĂšre, et biscuit notre petit chien. Mes parents tiennent une Ă©picerie Ă  Paris, rue du Cherche Midi.
Les Duchemin, c’est eux. La boucherie juste en face. Il y a le patron, tout le monde l’appelle « Duchemin », mĂȘme sa femme. Ensuite, il y a la patronne, entre nous on l’appelle « La mĂšre Duchemin ». Ils ont deux jumeaux de treize ans, des intrĂ©pides, pas une journĂ©e sans qu’ils se prennent une volĂ©e.

Nous sommes fin juin, la capitale est Ă©crasĂ©e par la canicule, la chaleur est partout, mĂȘme dans la rĂ©serve. Comme chaque samedi soir, Duchemin prend l’apĂ©ro Ă  la maison avec mon pĂšre. Chacun raconte ses petites mĂ©saventures de la semaine.
---C’est quand mĂȘme malheureux de rester Ă  Paris par un temps pareil ! Dit Duchemin.
Ma sƓur, qui d’habitude reste Ă  l’écart de leurs conversations, lĂšve la tĂȘte en direction de mon pĂšre.
---Pourquoi est-ce qu’on n’irait pas Ă  la campagne ou en forĂȘt, ça serait chouette, non ?
---Eh oui ! Votre fille a raison Fauchard, pourquoi est-ce qu’on n’irait pas en forĂȘt, ça nous changerait ? Votre gamin et les jumeaux joueront ensemble et Arlette et Janine se mettront Ă  l’ombre, avec la semaine qu’on a eu ça nous fera du bien.
---Et qu’est-ce qu’on fait de grand-mùre ? Intervient ma mùre.
---Non mais ! Qu’est-ce que ça veut dire ! Dit grand-mùre, vous croyez que je suis trop vieille et plus bonne à rien. Moi, je vais avec vous, j’en ai vu d’autres
 A mon ñge !
Le lendemain Ă  neuf heures tapantes, Duchemin Ă©crase la sonnette et pousse la porte de l’épicerie. Il traverse le magasin d’un air triomphateur dans son short bleu pĂ©trole et sa chemisette verte olive.
--- Bonjour les Fauchard! Alors on est prĂȘt ? Arlette a fait des sandwichs pour tout le monde et je me suis occupĂ© personnellement de la boisson, vous en faites pas y’a ce qu’il faut.
Duchemin appuie sur la fin de la phrase et lance un lĂ©ger coup d’Ɠil complice Ă  mon pĂšre. Moi, j’en conclue que ce n’est pas encore aujourd’hui que mon pĂšre et Duchemin vont se mettre au rĂ©gime sec et Ă  l’eau, surtout que j’ai vu une bouteille de pastis et deux de cĂŽtes du RhĂŽne dans le grand sac Ă  dos qu’on utilise habituellement pour les vacances. Nous aussi on est prĂȘt, ma mĂšre contrĂŽle l’ensemble des opĂ©rations, ma sƓur a mis un roman dans son sac, et Biscuit et Grand-mĂšre tournent en rond et gĂȘnent tout le monde. Pour ne pas dĂ©ranger, je vais m’installer dans la voiture qui est garĂ©e juste devant le magasin. J’aperçois la MĂšre Duchemin, impossible de la rater avec sa robe rouge Ă  fleurs, son grand dĂ©colletĂ© qui baille et ses minuscules chaussures blanches. Je patiente encore une dizaine de minutes et enfin ça y est, les deux familles sont prĂȘtes. Duchemin est au volant, il passe son bras par la vitre baissĂ©e et l’agite comme un moulin Ă  vent pour signaler Ă  mon PĂšre qu’on dĂ©marre.
--- On fait comme d’habitude Duchemin, je pars devant et vous me suivez.
Mon pĂšre opine, tourne la tĂȘte et dĂ©boite. La rue du Cherche Midi est fluide Ă  cette heure, aprĂšs les feux tricolores nous longeons le mur gris de mon Ă©cole et ça me fait bizarre de penser que dans deux semaines ce sera les vacances. Dans la voiture, c’est le silence complet, mon pĂšre a les yeux rivĂ©s sur la voiture de Duchemin et essaie de ne pas se faire distancer, Grand-MĂšre regarde droit devant sans sourciller et Biscuit s’est mis en boule sur les genoux de ma sƓur. Le soleil Ă©claire dĂ©jĂ  les immeubles et le ciel est d’un beau bleu, vierge de tout nuage. Duchemin s’est finalement dĂ©cidĂ© pour les bords de Marne, il dit qu’il connait un endroit formidable qui rĂ©unit tout ce qu’on peut rĂȘver, des poissons en abondances, de l’ombre Ă  volontĂ© et une forĂȘt de vieux chĂȘnes centenaires. Il paraĂźt qu’on peut mĂȘme faire une promenade en bateau. En tout cas, pour une fois la journĂ©e commence bien, j’ai mĂȘme envie de dire ‘’trop bien et c’en est suspect’’. Ma mĂšre rompt le silence la premiĂšre.
---T’as pensĂ© Ă  prendre tes goutes Maman ?
---Bien sĂ»r, si je devais compter sur vous, j’ai plus qu’à mourir !
---Taisez-vous, dit mon PĂšre, n’allez pas encore vous chamailler vous deux, vous allez nous bousiller cette belle journĂ©e.
Ma MĂšre est vexĂ©e et le calme revient dans la voiture. Nous roulons Ă  une bonne allure car dĂ©jĂ  nous traversons les MarĂ©chaux et laissons Paris derriĂšre nous. La banlieue me semble triste, les hauts immeubles sont remplacĂ©s par des constructions plus basses et assez dĂ©labrĂ©es oĂč de petits jardins s’intercalent çà et lĂ . Nous passons sur un large pont, en dessous coule une eau grisĂątre sur laquelle avancent deux pĂ©niches chargĂ©es de sable. Nous suivons le fleuve qui disparait puis Ă  rĂ©apparait au grĂ© des nombreux virages. Soudain, Nous bifurquons Ă  gauche et nous nous engageons dans un chemin de pierres parsemĂ© de trous et de bosses.
---OĂč est-ce qu’il nous emmĂšne encore Duchemin, dit ma mĂšre, je ne serais pas Ă©tonnĂ©e qu’il se soit encore trompé !
---Oh Janine, tu n’y penses pas, dit mon Pùre avec ironie, Duchemin se tromper

---On ne se serait pas perdu ? interroge Grand-MÚre.
---Ouvrez vos oreilles Belle Maman ! C’est justement ce qu’on dit.
---Mais on est dĂ©jĂ  passĂ©s ici, dit ma sƓur, je reconnais ce tronc Ă  terre.
Moi aussi j’avais un doute, mais je n’osais rien dire, aprĂšs on dit que je m’occupe des affaires des grandes personnes. Le chemin ne s’arrange pas, maintenant nous roulons carrĂ©ment sur la terre, on est secouĂ©s comme des pruniers mais Duchemin continue, ça ne l’arrĂȘte pas
 Quand soudain, Ă  la surprise gĂ©nĂ©rale, le chemin dĂ©bouche sur une belle clairiĂšre, nous n’en croyons pas nos yeux. L’herbe est d’un beau vert foncĂ© et de gros chĂȘnes sont disposĂ©s çà et lĂ  comme de gigantesques parasols. Duchemin descend et arrĂȘte sa voiture tout en bas, le long du fleuve et Ă  moins de deux mĂštres de l’eau. Mon PĂšre, moins tĂ©mĂ©raire, prĂ©fĂšre se garer plus haut. Tout le monde descend des voitures. Les Duchemin sortent de leur voiture arborant l’air triomphant des grands jours. C’est vrai que l’endroit est magnifique, Il a de quoi ĂȘtre fiĂšre, notre Boucher, et il en use.
--- Vous ne le connaissiez pas ce coin-lĂ , Fauchard ? Moi, je viens ici depuis le rĂ©giment, la caserne est Ă  une demi-heure Ă  pied. Et vous n’avez pas encore tout vu, regardez lĂ -bas vous voyez le bistrot, et bien on peut mĂȘme louer des barques.
---Et on peut pĂȘcher ? demande mon pĂšre en tendant son bras en direction du fleuve.
---Ici ? Vous voulez rire ! Y’a de tout, gardons, gougeons, mĂȘme des brochets
Ah j’en ai sorti ici... Et des gros, vous allez voir Fauchard, je vais vous montrer !
La MĂšre Duchemin regarde les chĂȘnes un Ă  un avec minutie, reste quelques secondes immobile comme une statue et devant le plus gros dĂ©clare que c’est sous celui-ci qu’il faut s’installer. Ma mĂšre fait oui de la tĂȘte et mon PĂšre approuve le choix qui vient d’ĂȘtre fait. Les deux Hommes dĂ©ballent leurs attirails de pĂȘche et les femmes disposent les nappes, serviettes, couvert etc. Au soleil, il fait dĂ©jĂ  trĂšs chaud, mĂȘme lourd. Grand-MĂšre a sorti sa chaise pliante et regarde le fleuve avec autant d’attention que s’il s’agissait d’un objet prĂ©cieux. Les jumeaux ont dĂ©jĂ  disparus avec une pelote de ficelle et un couteau. Je suis sĂ»r qu’ils vont faire des arcs, mais c’est pas gentil, ils ne me prennent jamais avec eux. Ma sƓur s’est approchĂ©e du fleuve et regarde les ondulations que laisse une pĂ©niche derriĂšre elle. Je vois mon pĂšre en grande conversation avec Duchemin et je m’avance.
---C’est là qu’il faut se mettre, dit Duchemin. On sera à l’ombre et comme il y a des grandes herbes, il y a du poisson.
Assis sur une gosse racine qui s’enfonce dans le fleuve, je les observe. Mon pĂšre a dĂ©pliĂ© sa canne et regarde le bouchon qui lentement, emmenĂ© par le courant, se dĂ©place. Duchemin, qui a fait le choix d’une canne deux fois plus longue que celle de mon pĂšre, a emmĂȘlĂ© son fil dans les branches basses.
---Dans le temps, il n’y avait pas ces foutues branchages, tempĂȘte-t-il.
---Chute ! J’ai une touche, dit mon pùre.
Alors doucement il relĂšve sa ligne et je suis Ă©merveillĂ© par la premiĂšre prise de la journĂ©e. C’est un gardon long comme la main. Mon pĂšre le dĂ©pose dĂ©licatement dans le seau et relance sa ligne. Duchemin lui, tempĂȘte toujours aprĂšs ces maudites branches et aprĂšs avoir jetĂ© un coup d’Ɠil furtif sur la prise de mon pĂšre, dit qu’il en a pris de bien plus gros. Pour me dĂ©gourdir les jambes, je fais quelques pas le long du fleuve. Je pensais que nous Ă©tions les seules Ă  pĂȘcher, mais Ă  ma surprise, je constate que les pĂȘcheurs sont nombreux. DerriĂšre un buisson, j’aperçois les jumeaux, ils font certainement quelque chose de mal car il ricane comme quelqu’un qui vient de faire des bĂȘtises. Comme ils ne m’ont pas encore vu, je reste cachĂ© et les observe. Je comprends vite leur nouveau jeux, il consiste Ă  s’approcher des pĂȘcheurs et, sans ĂȘtre vu, Ă  lancer des bĂątons dans l’eau, lĂ  oĂč ils jettent leurs lignes. Si Duchemin apprend ça, c’est sĂ»r ils vont s’en prendre une bonne. Je traine encore le long de l’eau et me renseigne auprĂšs des pĂȘcheurs pour savoir s’ils ont pris beaucoup de poissons. Puis, je retourne et arrivĂ© au niveau de mon pĂšre, je constate qu’ils ont dĂ©jĂ  Ă  l’apĂ©ro. Dans le seau, il y a maintenant cinq poissons. J’apprends que c’est mon pĂšre qui les a tous attrapĂ©s, mais Duchemin s’empresse de dire qu’il en a manquĂ© un Ă©norme. La MĂšre Duchemin nous appelle, les deux hommes plient leurs cannes et nous remontons au pique-nique.
Rapidement, je sens qu’il y a un problùme, en effet

---Si j’avais su qu’il y avait autant de moustiques, on ne serait jamais venus ici, dit ma mùre.
---Regardez Fauchard ! Je suis dĂ©vorĂ©e pas ces sales bestioles, dit grand-mĂšre. J’ai des piqĂ»res partout, bien sĂ»r vous vous en fichez, vous ils ne vous piquent pas !
---Vous n’aviez qu’à penser à prendre du vinaigre, dit mon pùre, c’est efficace contre les moustiques !
---Du vinaigre ? Mais on en a dit ma sƓur, c’est moi qui l’ai prĂ©parĂ©.
Ma sƓur apporte le vinaigre, tout le monde s’enduit le corps et maintenant ça empeste le vinaigre. PrĂ©textant que ça sent mauvais, mon pĂšre et Duchemin se reversent un pastis, c’est pour masquer l’odeur, qu’ils disent. Moi, j’étouffe, mĂȘme Ă  l’ombre sous l’épais feuillage du chĂȘne, il fait une chaleur Ă©pouvantable, pas le moindre souffle d’air, il fait trĂšs lourd et au loin on distingue quelques nuages noirs comme du charbon.
---J’espĂšre qu’on n’aura pas d’orage, dit la mĂšre Duchemin en se tournant vers son Ă©poux.
---Non Arlette ! Aucun risque, sinon ça aurait mordu bien plus. Quand le poisson est calme, le temps l’est aussi.
---En tout cas, les moustiques ils ne sont pas calmes, dit grand-mĂšre, regardez mes bras ils sont tout rouges.
---Bah ! Ca fait circuler le sang, dit mon pÚre.
VoilĂ  les jumeaux qui arrivent en courant, poursuivis par un homme. Duchemin s’est relevĂ© d’un bond, Ă  voir sa tĂȘte, il soupçonne un coup fourrĂ©. Il attaque mĂȘme franchement.
---Qu’est-ce qui ce passe ? Qu’est-ce que vous avez encore fait vous deux ?
L’homme arrive, il est tout essoufflĂ© et reprend sa respiration avant de parler.
---C’est vos enfants ? demande-il.
---Oui, dit Duchemin en prenant une grande inspiration et en serrant ses dents.
---Je ne vous fĂ©licite pas pour leurs Ă©ducations, ils n’ont pas arrĂȘtĂ© d’envoyer des bĂątons dans l’eau, juste lĂ  oĂč je pĂȘchais. Alors Ă©videmment, j’ai rien attrapĂ©.
---Ah mes garnements ! Venez un peu ici.
Duchemin attrape ses jumeaux, les baffes volent, et la mĂšre Duchemin qui supplie d’arrĂȘter, et grand-mĂšre qui dit qu’il va finir par les tuer, et ma mĂšre qui pousse des grands Oh ! Oh ! Enfin Duchemin se calme et s’excuse auprĂšs de l’homme. Puis ils en viennent Ă  parler pĂȘche et pour clore l’évĂ©nement, l’homme est invitĂ© Ă  prendre l’apĂ©ro. Par coĂŻncidence l’homme habite prĂšs de chez nous, il a un petit salon de coiffure rue de Vaugirard. Il dit qu’il s’appelle Henry, qu’il nous invite chez lui, nous et les Duchemin. Il ajoute mĂȘme qu’il a entendu parler de la boucherie Duchemin et qu’elle a une bonne renommĂ©e. La mĂšre Duchemin en profite pour gonfler son opulente poitrine, et comme par hasard elle a une grosse fleur rouge sur chaque lolo, le comique prend vite le pas sur le tragique. Ensuite ma mĂšre et la mĂšre Duchemin dĂ©ballent tout le repas. Il y a de tout et trois fois plus qu’on ne peut en manger. Le repas se passe bien, comme d’habitude mon pĂšre exige qu’on ouvre sa bouteille et Duchemin qu’on ouvre la sienne et comme toujours ils ouvrent les deux et la mĂšre Duchemin dit que ce n’est pas raisonnable.
Duchemin n’a pas envie de retourner Ă  la pĂȘche, il a une autre idĂ©e en tĂȘte, il voudrait faire un tour en barque avec sa femme, rien qu’eux deux. Les jumeaux ils resteront lĂ , ils ne le mĂ©ritent pas dĂ©clare-t-il. Mon pĂšre dit qu’il prĂ©fĂšre retourner Ă  la pĂȘche et ma mĂšre veut se reposer Ă  l’ombre. Moi, je voudrais bien me mouiller, la chaleur est insupportable, il fait de plus en plus lourd et les nuages sont plus nombreux. Mon pĂšre ramasse ses affaires de pĂȘche et les Duchemin se dirigent vers le bistrot oĂč on loue les barques. Difficile de ne pas rire en les voyant partir bras dessus bras dessous, elle avec sa robe Ă  fleurs rouges et ses petites chaussures blanches qui lui font un pied ridiculement petit. J’accompagne mon pĂšre au bord de l’eau et, comme Ă  cet endroit c’est peu profond, il m’autorise Ă  me tremper les pieds, mais tout doucement pour ne pas faire fuir le poisson. AprĂšs une demi-heure, mon pĂšre n’a encore pris aucun poisson et dĂ©cide de commencer Ă  ranger le matĂ©rielle dans la voiture.
---Tu vois ces gros nuages Gamin, dit-il, et bien moi j’ai pas confiance. D’ailleurs, je crois mĂȘme que j’ai reçu une goute.
---Ils vont ĂȘtre mouillĂ©s p’pa les Duchemin si il pleut.
---T’as entendu ce qu’il a dit, pour lui, il ne pleuvra pas. C’est Duchemin mĂ©tĂ©o maintenant.
---T’imagine p’pa la mĂšre Duchemin trempĂ©e dans sa robe Ă  fleurs ?
---Oh oui, ça va pas ĂȘtre triste !
---Eh, mais ça commence à tomber Gamin, viens on va à la voiture.
Nous arrivons presque en mĂȘme temps que ma mĂšre et ma sƓur. Grand-mĂšre entre la derniĂšre dans la voiture, quant Ă  biscuit, il semble tout heureux de se faire mouiller. Maintenant, ce sont d’énormes gouttes qui frappent le toit de la voiture. La pluie est si forte qu’il est impossible de se parler. Sans transition et comme par miracle, le dĂ©luge s’arrĂȘte, cependant nous restons encore dans la voiture car l’eau qui vient de plus haut dĂ©gouline avec force. Elle est toute jaune et chargĂ©e de brindilles, de feuilles morte et d’herbes arrachĂ©es.
L’eau ruisselle encore que le soleil est dĂ©jĂ  revenu, et plus aucune menace du ciel, pas un seul nuage.
---Ils vont ĂȘtre pourris les Duchemin, dit Grand-mĂšre, Et leur auto, elle ne va pas patiner ?
---C’est vrai ça Belle Maman, vous avez raison, ils se sont garĂ©s complĂštement en contre-bas !
---On peut faire quelque chose, demande ma mĂšre.
---Pousser, dit mon pĂšre, ça m’étonnerais qu’il arrive Ă  dĂ©coller, mais bon, par chance on est du monde, on y arrivera. Tiens, justement quand on parle du loup...Les voilĂ  les Duchemin.
Les voilĂ  et ils ont une allure bizarre, surtout la mĂšre Duchemin, elle marche les jambes Ă©cartĂ©es et se tient toute ramassĂ©e sur elle-mĂȘme.
---Oh Quelle aventure, c’est horrible, dit-elle, c’est la premiĂšre fois de ma vie que vois ça, je suis complĂštement trempĂ©e, regarder ma robe, elle dĂ©gouline de partout, qu’est-ce que l’on va faire ?
---On va se faire sĂ©cher, dit mon pĂšre, il n’y a que ça Ă  faire avec le soleil qui est revenu, ça devrait mĂȘme aller assez vite.
En effet, mon pĂšre avait raison, la mĂšre Duchemin s’est plantĂ© en plein milieux de la clairiĂšre, au soleil et se fait sĂ©cher. A la voir comme ça, elle me fait penser Ă  un Ă©pouvantail Ă  corbeau de chez bibendum. Et comme elle s’applique Ă  sĂ©cher intelligemment, elle tourne sur elle-mĂȘme pour obtenir un sĂ©chage uniforme. Pendant ce temps, mon pĂšre et Duchemin sont autour de la voiture. Notre boucher est tĂȘtu, il a bien essayĂ© de sortir seul, mais finalement il a dĂ» se rĂ©signer Ă  accepter l’aide que mon pĂšre lui proposait. Non seulement mon pĂšre, mais tout le monde s’y est mis, chacun a poussĂ© et c’est sans trop de difficultĂ© que la voiture a atteint le sol dur et s’est placĂ©e juste derriĂšre la nĂŽtre. Grand-MĂšre tourne en rond, n’arrĂȘte pas de se plaindre et demande quand est-ce que l’on repart.
---De quoi vous vous plaignez, Belle-Maman, il n’y a plus de moustique maintenant avec la pluie.
---Ah, je m’en souviendrais de votre pique-nique, Fauchard !
---Patientez encore un peu Belle Maman, dĂšs que la MĂšre Duchemin est sĂšche, on part.
A mon avis, le dĂ©part c’est pour bientĂŽt, car la mĂšre Duchemin elle tourne plus. Elle se tient comme une statue, les bras un peu Ă©cartĂ©s et les Ă©paules enfoncĂ©es. Elle dit que c’est parce que sa robe Ă  rĂ©trĂ©cie et qu’elle a peur qu’elle craque. Je pense qu’elle dit la vĂ©ritĂ© car effectivement, ça tend, ça tend mĂȘme trĂšs fort. Le soleil est encore chaud quand nous prenons le chemin du retour, c’est dommage de partir aussi tĂŽt car moi je me trouvais bien ici. Les nombreux trous qui tapissent le chemin sont remplis d’eau qui s’éjecte violemment au passage des voitures. Nous repassons sur le pont, la circulation est assez dense et au loin on aperçoit mĂȘme un groupe de gendarmes qui effectuent des contrĂŽles. Zut, Duchemin n’a pas de chance, un gendarme lui fait signe de stopper. Nous nous arrĂȘtons juste derriĂšre lui pour l’attendre. J’ai l’impression que les forces de l’ordre veulent faire descendre tous les passagers de la voiture. La MĂšre Duchemin n’a pas l’air d’accord, mais le gendarme ne l’entend pas ainsi, il lui ordonne de descendre immĂ©diatement du vĂ©hicule et de poser ses mains sur le toit de la voiture, ce qu’elle fait d’un geste brusque. HĂ©las, la robe rĂ©trĂ©cie par le traitement qu’elle vient de subir ne rĂ©siste pas et se dĂ©chire dans le dos, du cou jusqu’à la ceinture. AffolĂ©e par cet incident, elle baisse les bras pour soulager le tissu, ce qui a pour consĂ©quence de provoquer une deuxiĂšme dĂ©chirure, sur le devant cette fois-ci. Les gendarmes s’efforce de garder leurs sĂ©rieux et font signe aux passagers de remonter dans la voiture. Duchemin redĂ©marre aussi vite qu’il le peut, nous le suivons et en nous retournant, nous avons juste le temps d’apercevoir les trois gendarmes pliĂ©s en deux, qui se tordent de rire.
Notre pique-nique ne s’est pas dĂ©roulĂ© comme prĂ©vu, mais une chose est certaine, nous ne sommes pas prĂȘt de l’oublier.
Jean-Jacques Boquet

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