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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2005-12-26 | [This text should be read in francais] | Submited by Nicole Pottier
La radio et la tĂ©lĂ©vision commencèrent Ă sonner au mĂŞme moment, l’épouvantant. « Nahaş Č›efa, nahaş Č›efa ». C’était le signal d’alarme de la guerre du Golfe. Elle ne s’était pas encore habituĂ©e Ă ce son strident, effrayant, qui se mettait en marche lorsqu’on s’y attendait le moins. Une fois c’était dans la salle de bains, une autre fois dans les wc, et mĂŞme dans la rue, sans plus savoir vers oĂą se diriger. Elle ne s’était pas habituĂ©e Ă l’abri, infime dĂ©barras, sans mĂŞme une place oĂą jeter une aiguille. Elle restait alors blottie sur la dernière marche de l’escalier qui donnait sur le rĂ©duit du sous-sol, les genoux serrĂ©s au menton, et le masque Ă gaz aux pieds. L’espace Ă©tait Ă©troit, il manquait d’air et le masque l’aurait Ă©touffĂ©e au lieu de la sauver, en cas d’éventuelle attaque chimique. Un tas de choses usĂ©es, amassĂ©es pendant toute une vie, gisaient lĂ Ă©parpillĂ©es, les unes sur les autres , remplissant cet espace jusqu’à n’en plus pouvoir. La trappe Ă©tait la seule porte de communication avec l’extĂ©rieur.
Dès le premier jour de la guerre, Corinne dĂ©cida que le masque Ă©tait superflu. « Si je dois mourir, ce sera Ă cause des explosions, et on me retrouvera sous les dĂ©combres. » pensait-elle. Car, au moins, on pouvait y arriver en un instant. De la chambre Ă coucher, il suffisait de tirer le verrou de la trappe et on se trouvait immĂ©diatement au sous-sol, comme dans une cachette, Ă l’abri des gaz, mais avec un maximum de chances de mourir asphixiĂ© par manque d’air, ou encore de mourir Ă©crasĂ©, au cas oĂą la baraque s’écroulerait . Corinne n’habitait dans cette vieille maison que depuis deux mois, lorsque la guerre avait commencĂ©. Deux mois pendant lesquels elle s’était enfin senti libre et heureuse, au bout du calvaire d’un mariage malheureux et d’un Ă©pouvantable divorce. DĂ©labrĂ©e, fragile comme elle l’était, cette maison Ă©tait le refuge des premières nuits tranquilles, des premiers jours lumineux, qu’il y eut ou non du soleil dans le ciel. Libre, enfin libre, comme les oiseaux dans le ciel. En fait, Marius, son ancien mari, n’avait pas Ă©tĂ© coupable. Elle ne pouvait rien lui reprocher, mĂŞme si elle avait grandement souffert, et lui avait consacrĂ© les plus belles annĂ©es de sa vie. Marius Ă©tait malade, et sans doute, la maladie n’était pas une faute. Elle ne le savait pas, elle ne s’y intĂ©ressait pas alors, avant le mariage, elle ne pouvait faire de reproches Ă personne. Pas davantage Ă sa belle-mère, elle ne pouvait faire de reproches Ă cette pauvre femme malheureuse. Sa mère ! Elle voulait une garde-malade pour son fils. Elle chercha quelqu’un pour veiller sur les insomnies de son fils, ses peurs, ses crises de dĂ©pression, et pour cela… elle Ă©tait mĂŞme disposĂ©e Ă payer . Et Corinne… se laissa acheter. Comment une pauvre fille, venue d’un kibboutz du nord du pays, vĂŞtue de sa seule robe et d’une paire de pantoufles, pouvait-elle soupçonner ce qui l’attendait ? Comment pouvait-elle deviner le piège ? « Ah ! et cette alarme qui n’en finit plus » ! Les pensĂ©es l’enveloppaient comme dans une nasse, l’emportaient dans un passĂ© dont elle ne voulait plus se souvenir, qui Ă©tait encore trop rĂ©cent pour ne pas en ressentir Ă nouveau toute l’amertume, toute la souffrance. Les images se dĂ©roulaient rapidement, et une fois en marche, il n’y avait pas moyen de les arrĂŞter. * Le kibboutz Ă©tait en fĂŞte. En fait, c’était le pays tout entier qui faisait la fĂŞte. Pâques ! Les enfants les attendaient pour les vacances. Les adultes, pour goĂ»ter la venue du printemps, du renouveau, pour raconter encore une fois aux gosses, lors du repas traditionnel, la sortie hors d’Egypte, la dĂ©livrance du peuple juif de l’esclavage. Corinne avait dix-sept ans et Ă©tait arrivĂ©e dans ce pays trois ans auparavant avec un groupe de jeunes, juste après avoir terminĂ© le lycĂ©e. Elle Ă©tait orpheline, depuis le tremblement de terre en Roumanie oĂą elle perdit ses parents sous les dĂ©combres. On les retrouva, au bout de quelques jours, sous les ruines, main dans la main, espĂ©rant les secours ou essayant probablement de se rĂ©conforter en s’étreignant l’un l’autre. Une sĹ“ur de sa mère prit soin d’elle. Cependant, depuis toujours, son projet Ă©tait d’aller en IsraĂ«l. Sa tante aurait tant souhaitĂ© l’adopter ! Justement, Corinne ne cĂ©da jamais Ă la peur concernant les obstacles empĂŞchant ses projets. Et ainsi, personne ne lui barra le chemin. L’agence de placement l’envoya dans un kibboutz, et elle en fut reconnaissante.. Elle n’était plus seule. Elle apprit vite la langue. Elle suivit des cours de secrĂ©tariat. Elle travaillait Ă la comptabilitĂ©, aidait Ă la crèche, Ă la cantine. Mais… elle se rendit bien vite compte qu’en fait, ce n’était pas simple de s’adapter et de vivre au milieu des cent trente familles du kibboutz. Autre mode de pensĂ©e, autre Ă©ducation. Il y avait des Ă©trangers venus de toutes les parties du monde, et cela la mettait mal Ă l’aise, elle se sentait Ă©trangère Ă son tour. Corinne se forçait Ă les comprendre, tâchant de devenir l’une des leurs. Mais les nuits d’hiver, lorsque le vent sifflait par les vieilles fenĂŞtres et les portes aux planches fendues, par oĂą le froid s’insinuait aisĂ©ment, ces nuits la gelaient, l’effrayaient. Alors, se rĂ©veillaient ses rĂŞves, ses questions sans rĂ©ponse, le lourd poids de ses doutes. Oh, si elle avait une petite maison, si petite soit-elle, mais qu’elle fĂ»t Ă elle, et quelqu’un lĂ -bas pour la protĂ©ger. Etait-ce trop ? Et qu’elle pĂ»t appuyer son front contre une Ă©paule forte, Ă mĂŞme de chasser la peur, mais surtout, la solitude. Demandait-elle trop ? C’est exactement Ă ce moment-lĂ qu’arriva l’invitation inattendue. Une parente, une cousine dont elle n’avait jamais entendu parler l’invita Ă Tel-Aviv pour la semaine de Pâques. Justement Ă Tel-Aviv. C’était vraiment merveilleux. La ville lui avait Ă©normĂ©ment plu, alors qu’elle dĂ©barquait tout juste en IsraĂ«l. L’animation, les lumières, le bruit lui avaient laissĂ© l’impression que lĂ , tout le monde devait ĂŞtre heureux. Théâtres, cinĂ©mas, bars, restaurant, tout Ă©tait comme un mirage aux yeux Ă©tonnĂ©s de la jeune fille Ă peine arrivĂ©e. Et, tout d’un coup, ainsi, de manière surprenante, l’invitation. A la station d’autobus, elle acheta le plus grand et le plus beau bouquet de fleurs qu’elle vit. Ensuite, elle prit l’autobus pour Bat-Yam. Et mĂŞme ce nom (dont la traduction est : « fille de la mer ») semblait une promesse. Elle avait envie de chanter et de danser. C’était le printemps, et elle n’avait que vingt ans. Ce jour-lĂ , chez la cousine, elle fit la connaissance de Marius. Lui, de dix ans plus âgĂ©, Ă©tait un homme Ă cĂ´tĂ© d’elle si jeune et si timide. A la figure longue, osseuse, et aux tempes laissĂ©es Ă nu par une calvitie prĂ©maturĂ©e, aux yeux bleus, doux et comprĂ©hensifs. En sa compagnie, elle se sentit merveilleusement bien. Marius Ă©tait intelligent, il Ă©tait cultivĂ©. Il connaissait par cĹ“ur la poĂ©sie, des poèmes entiers. Il les lui rĂ©citait Ă voix basse, enveloppante. Lermontov, Pouchkine, Minulescu, qu’elle vĂ©nĂ©rait. Ils sortirent ensuite se promener dans son auto, une superbe Volvo, le luxe des restaurants, le chant des vagues contre la falaise, les spectacles, les concerts. Elle Ă©tait Ă©tourdie et aveugle. «Il a une maison, une voiture, une situation, lui avait chuchotĂ© la cousine. Que peux-tu dĂ©sirer de plus ?»… Et Corinne ne dĂ©sira rien de plus. Elle dit «Oui», heureuse de la demande, «oui», sans y penser, «Oui» sans savoir. La surprise Ă sa première crise la jeta dans le plus Ă©pouvantable dĂ©sespoir. De peur, elle avorta. Et au dĂ©but, elle ne comprit mĂŞme pas de quoi il s’agissait. Comment quelqu’un pouvait-il changer de manière si radicale, comment l’homme le plus civilisĂ© pouvait-il se transformer en une bĂŞte ? Au fur et Ă mesure, elle apprit, elle lut, elle comprit. SchizophrĂ©nie. Lui, il Ă©tait malade, et elle… elle Ă©tait condamnĂ©e Ă vie. Elle voulut d’abord se suicider. Ensuite, elle voulut les tuer. Ils l’avaient dupĂ©e. Peut-ĂŞtre mĂŞme que sa parente y Ă©tait mĂŞlĂ©e. « Un complot contre moi et ma jeunesse », se disait-elle avec dĂ©sespoir. Elle essayait de se calmer, de trouver une solution raisonnable. Après les crises Ă©pouvantables, venait la rĂ©mission. Et Marius Ă©tait Ă nouveau l’homme fin, intelligent, le gentleman impeccable. Cela durait un mois, deux, ou mĂŞme plus. Alors, elle espĂ©rait un miracle. Elle cherchait fĂ©brilement des mĂ©dicaments, courait chez les docteurs, lisait tout ce qui lui tombait sous la main, de plus nouveau et moderne dans ce domaine. Avec le temps, elle s’habitua. Elle Ă©tait devenue experte. Elle sentait venir ses crises, essayait de les dĂ©passer. Ses dĂ©pressions duraient des jours entiers, parfois des semaines, et en fait, elle les considĂ©rait comme un bonheur, Ă cĂ´tĂ© des pĂ©riodes d’agitation, de folie furieuse. Les annĂ©es s’écoulaient et elle n’était pas en Ă©tat de prendre une dĂ©cision. Mais lorsqu’il la menaça d’un couteau, lors de cette nuit d’épouvante, qu’il l’enferma dans la cave, en hiver, pieds nus, vĂŞtue de sa seule chemise de nuit, alors, elle dĂ©cida de divorcer. Encore maintenant, elle ne comprenait pas d’oĂą lui Ă©tait venue la force de supporter ces cinq annĂ©es, comment elle n’avait pas eu peur, comment elle avait survĂ©cu. Le procès ? Un vĂ©ritable calvaire. Il lui fallut dĂ©montrer le fait qu’il Ă©tait dĂ©jĂ malade lorsqu’ils se marièrent. Il lui fallut chercher des actes, des preuves, voler dans les tiroirs fermĂ©s Ă clef, produire les certificats de sortie de l’hĂ´pital, les analyses et les ordonnances de son traitement . - Pourquoi t’es-tu mariĂ©e ? la question de l’avocat revenait toujours de manière obsĂ©dante. - parce que je ne savais pas, sa rĂ©ponse rĂ©sonnait de manière timide et peu convaincante. Vous devez me croire ! Mais en fin de compte, elle rĂ©ussit. Quand elle obtint le divorce, elle crut perdre la tĂŞte de tant de bonheur. Elle Ă©tait libre, enfin, libre. Elle partit. Non, elle s’enfuit ! Elle laissa tout: les bijoux, l’alliance, et mĂŞme les robes qu’il lui avait achetĂ©es. Qu’on ne dise pas qu’ils l’ont habillĂ©e. Elle accepta la première annonce dans le journal, Ă la rubrique « appartements Ă louer ». Elle ne voulait plus de conseils, de recommandations, elle ne faisait plus confiance Ă personne. En plus, cette maison Ă©tait meublĂ©e, or Corinne n’avait rien qui lui appartenait. Elle signa chez le notaire et remercia en pensĂ©e l’ancienne propriĂ©taire, madame Marta Carmeli, une petite grand-mère, morte dans un asile de vieillards, sans hĂ©ritiers, lui laissant ainsi la possibilitĂ© de louer immĂ©diatement l’appartement. Après avoir vu la maison, petite et vieille, qui tenait Ă peine debout, l’enthousiasme de Corinne faiblit grandement. Ensuite, il revint. Le loyer Ă©tait faible et l’appartement uniquement pour elle. Ici, enfin, elle ne craignait plus rien ni personne. Pas mĂŞme cette affreuse guerre ne l’effrayait plus que le souvenir de son mariage. Elle restait sagement, tranquille sur les marches, attendant que passât l’alarme. Mais Ă ce moment prĂ©cis, le cri de Marius lors de la sĂ©paration a rĂ©sonnĂ© Ă ses oreilles. Son Ă©cho a alors brisĂ© le silence des couloirs sans fin du tribunal et l’a poursuivi durant des jours et des jours : -Je te tuerai ! Jamais tu ne m’échapperas, oĂą que tu te caches… L’alarme avait cessĂ© depuis longtemps, mais Corinne Ă©tait toujours accroupie, sur les marches de la chambre du sous-sol, perdue dans ses pensĂ©es. Lorsque, finalement, elle essaya de se redresser, son corps lui faisait mal dans chaque os, sa chair la faisait souffrir. Elle aperçut alors le paquet de lettres Ă ses pieds. Peut-ĂŞtre avaient-elles roulĂ© depuis un tiroir ou une boĂ®te, pendant l’attaque aĂ©rienne ? Il y avait tant de choses entassĂ©es dans la petite pièce. Elle n’a probablement pas fait attention. Elle Ă©tait trop absorbĂ©e dans ses propres souvenirs. Les lettres Ă©taient anciennes, jaunies, attachĂ©es par un ruban qui avait perdu depuis longtemps sa couleur. Quand elle les releva, un petit nuage de poussière la fit Ă©ternuer. La curiositĂ© eut raison de sa conviction et Corinne retira du paquet une feuille mince, la retourna et examina la signature. Le choc la secoua comme une dĂ©charge Ă©lectrique. La jeune femme remonta en courant les quelques marches qui sĂ©paraient le sous-sol de la chambre et elle entra dans la pièce comme une tempĂŞte, prenant avec elle les lettres de la grand-mère Marta. Elle tenait les feuilles serrĂ©es, comme si elle avait peur qu’elles ne disparaissent. Elle les rangea soigneusement en Ă©ventail sur la table, afin de voir chacune d’entre elles, sĂ©parĂ©ment. Elle se pencha sur les papiers jaunis et regarda Ă nouveau la signature. Unique et semblable. En lettres distinctes, lĂ©gèrement penchĂ©es, Ă©tait Ă©crit noir sur blanc : « Avec toute mon affection, Corinne ». Quelqu’un frappant Ă la fenĂŞtre la ramena Ă la rĂ©alitĂ©. Elle avait complètement oubliĂ© son rendez-vous avec Jana. Elle laissa tomber le paquet de sa main, et les minces feuilles jaunies par le temps s’éparpillèrent dans un bruit de feuilles mortes sur la couverture du lit. Corinne saisit sa veste et sortit rapidement de la maison. Elles avaient rendez-vous. Elles avaient pris des billets pour le cinĂ©ma, mais elle avait oubliĂ©. Maintenant elle brĂ»lait d’impatience de raconter Ă son amie la coĂŻncidence des noms. Cependant, une fois arrivĂ©e dans la rue, une impulsion l’arrĂŞta. Et si les lettres dĂ©tenaient un secret ? Peut-ĂŞtre y avait-il un mystère en leur cĹ“ur ? Son imagination travaillait fĂ©brilement. Au cinĂ©ma, elle s’impatienta. « C’est bientĂ´t terminĂ© ? » - Qu’est-ce que tu as ? lui demanda Jana, qu’est-ce qui se passe ? - Je sens venir une migraine, mentit-elle sereinement. Je dois ĂŞtre fatiguĂ©e, continua t-elle dans ses explications, ressentant le besoin d’être convaincante. Parler hĂ©breu ne reprĂ©sente plus un problème pour moi, mais le lire est autre chose. Cela me fatigue. Et j’ai un bon livre de la bibliothèque. A ce moment-lĂ , son mensonge Ă©tait devenu une demi-vĂ©ritĂ©. - Oui, ce doit ĂŞtre cela, opina Jana. Prends un optalgin, moi cela m’aide toujours. De retour chez elle, Corinne jeta sa veste sur une chaise, et habillĂ©e comme elle l’était, elle se blottit dans son lit. Elle dominait avec peine son impatience. Ses doigts tremblaient d’émotion quand elle ouvrit le premier pli. C’était comme si elle avait jetĂ© un regard indiscret dans une maison Ă©trangère. Elle ne savait pas si l’autre Corinne aurait Ă©tĂ© d’accord ou non, elle ne se posa pas la question. Elle voulait savoir ce que contenaient les lettres, elle en ressentait le besoin. « Autrement, je ne les aurais pas trouvĂ©es, se dit-elle pour se calmer. « cela devait ĂŞtre ainsi !» Les feuilles pliĂ©es aux bords Ă©taient recouvertes d’une Ă©criture soignĂ©e, aux lettres distantes entre elles, rĂ©digĂ©es dans un roumain plein de fioritures. Il ne lui Ă©tait pas encore venu Ă l’idĂ©e que, de fait, elles auraient pu ĂŞtre rĂ©digĂ©es en hĂ©breu, et certainement, elle n’aurait rien compris. Mais Marta, la dĂ©funte propriĂ©taire, Ă©tait de Roumanie, et les lettres lui Ă©taient destinĂ©es. Etrange coĂŻncidence. De la part de Corinne pour… peut-ĂŞtre que… « Les lettres ont Ă©tĂ© Ă©crites pour moi. C’est moi la destinataire. C’est un message. Un message pour Corinne. » Comme plongĂ©e en transe, elle commença Ă lire. Chère Tina, J’ai appris hier que tu avais accouchĂ©. Ce n’est qu’hier que j’ai entendu parler de l’existence de la petite Marta, et j’ai alors dĂ©cidĂ© que je ne pouvais plus tarder, qu’il fallait que je t’écrive, pour aucun autre motif que celui de te fĂ©liciter. Quand tu t’es remariĂ©e, je ne l’ai pas fait, et ma conscience me le reprochait. Je suis très content , de tout mon cĹ“ur. Je vous souhaite Ă toutes deux beaucoup de bonheur, et je t’aime exactement comme autrefois. Je suis restĂ©e fidèle Ă notre amitiĂ©, malgrĂ© les apparences qui sont contre moi mais il est survenu tant de chagrins depuis que nous ne communiquons plus. « Mon Dieu ! » s’écria Corinne, interrompant pour un instant la lecture. Cela signifie que les lettres ont plus d’une centaine d’annĂ©es et qu’elles n’ont pas Ă©tĂ© adressĂ©es Ă madame Marta Carmeli, mais Ă sa mère. Plus d’une centaine d’annĂ©es. La sensation d’irrĂ©el s’accentuait Ă chaque instant. Elle reprit sa lecture, la bouche sèche, le visage crispĂ© par l’émotion. Pardonne-moi si je ne t’ai pas Ă©crit depuis un certain temps. Je n’ai pas voulu te causer du souci, ou peut-ĂŞtre n’ai-je pas eu la force de t’avouer mon dĂ©sespoir. Si aujourd’hui, je prends le porte-plume en main, c’est parce que je suis tourmentĂ©e par de noirs pressentiments, et tu as Ă©tĂ© et tu es restĂ©e ma meilleure amie. Je me souviens de la dernière fois oĂą nous nous sommes vues Ă Vienne, après mon mariage. J’étais heureuse. Si heureuse que je n’ai mĂŞme pas pensĂ© Ă toi, qui venais de te sĂ©parer de Raul et qui t’étais rĂ©fugiĂ©e dans la belle capitale pour guĂ©rir tes plaies et surmonter ta dĂ©ception. Je ne sais pourquoi je me figurais pouvoir te blesser avec mon bonheur, et alors, je me suis tenue Ă distance. HĂ©las, comme nous pouvons ĂŞtre Ă©goĂŻstes quand tout va bien pour nous ! Pavel, mon tout rĂ©cent mari, Ă©tait merveilleux, et moi, si amoureuse. Notre lune de miel fut un vĂ©ritable paradis. Je revis parfois ces temps heureux, et encore maintenant, j’ai peine Ă y croire, et je me sens rĂ©compensĂ©e pour tout ce qui a suivi. Ces annĂ©es-lĂ sont les seuls souvenirs sur lesquels je me suis appuyĂ©e pour trouver la force de continuer Ă vivre. A cette Ă©poque-lĂ , il ne mĂ©nageait aucune peine pour mon bonheur. Il devinait mes dĂ©sirs avant mĂŞme que je ne les exprime. Concerts, opĂ©ra, restaurants et casinos composaient ma vie jour après jour. J’avais les toilettes et les bijoux les plus merveilleux. Quand on est heureux, le temps vole, il n’y a pas de mesure, pas de jour ni de nuit. C’est comme le sable Ă l’intĂ©rieur de la clepsydre. Il coule. Imagine-toi tenir du sable dans tes paumes, au bord de la mer, lorsque le vent souffle. Il s’envole. Et moi, je croyais qu’il Ă©tait Ă©ternel, et je l’éparpillais avec nonchalance entre mes doigts ouverts. Un jour Pavel ne se sentit pas bien. Maux de tĂŞte, Ă©vanouissements, dĂ©lire… Les docteurs ne savaient pas ce qu’il avait. S’il avait eu de la fièvre, j’aurais dit qu’il dĂ©lirait Ă cause de la tempĂ©rature, mais il semblait bien portant. Il fallait entendre les absurditĂ©s et les choses effrayantes qu’il disait. Incroyable ! Il m’accusa de vouloir le tuer. Ensuite il accusa le cuisinier de vouloir l’empoisonner. Il cessa de manger. Il mangea d’abord au club, et arrĂŞta ensuite. Il suspectait tout le monde. Pour le tranquilliser, je goĂ»tais en premier Ă tout ce que l’on servait Ă table. Mais il n’en resta pas lĂ . Il ne me laissait plus sortir de la maison. Il m’accusait d’aller Ă des rendez-vous ou de comploter contre lui. Je n’ai pas la force de te raconter tout ce par quoi je suis passĂ©e. Une nuit, je dormis au poste de police. Il me dĂ©nonça comme faisant partie d’une organisation secrète voulant renverser le rĂ©gime. Pardonne-moi, mon Dieu, de parler ainsi de lui. C’est absurde, et cependant, je l’aime toujours, mĂŞme en ce moment oĂą je t’écris. Tu vas penser que je suis folle, n’est-ce pas ? Il y eut des pauses entre ces crises, pauses oĂą tout paraissait revenir Ă la normale. Mais pas mon bonheur. Il s’est avĂ©rĂ© que sa maladie est une maladie de nerfs, je ne sais pas exactement comment les docteurs l’ont nommĂ©e, mais tous Ă©taient d’accord pour dire qu’elle conduit Ă la dĂ©mence et qu’il n’y a pas de traitement. J’ai fait connaissance du fameux professeur Freud. Peut-ĂŞtre as-tu entendu toi aussi ce nom. Il m’a fixĂ© un rendez-vous et m’a dit qu’il va s’occuper de ce cas. Si lui ne rĂ©ussit pas, alors tout est perdu. Avec toute mon affection, Corinne. Blottie dans le lit, Corinne pouvait Ă peine respirer. La coĂŻncidence Ă©tait invraisemblable. Elle prit le verre d’eau sur la table de nuit et le but d’un trait, mais sa bouche resta tout aussi sèche. Le silence de la chambre lui paraissait irrĂ©el. « Je rĂŞve ! » lui passa par la tĂŞte, mais les lettres Ă©taient lĂ , Ă cĂ´tĂ© d’elle. On dĂ©chiffrait la signature très clairement, de manière incontestable. Elle aurait voulu continuer la lecture, mais elle ne se sentait pas en Ă©tat. Elle tremblait de tout son corps. Elle avala un somnifère, se couvrit avec la couverture, jusque par-dessus la tĂŞte, et chercha refuge dans le sommeil. Mais le sommeil refusait de venir. Comme si le fantĂ´me de Corinne la poussait Ă lire plus avant… Chère Tina, Il semblerait que chacune de mes lettres se doit de commencer par une excuse A nouveau, il s’est Ă©coulĂ© une Ă©ternitĂ© depuis que je t’ai Ă©crit. Mais je n’avais rien de joyeux Ă te dire et je ne souhaitais pas t’accabler de mes malheurs. Tu as toi aussi les tiens. J’ai l’impression que personne n’est Ă©pargnĂ©. Que Dieu me pardonne si je te dis que je t’ai enviĂ©e lorsque j’ai appris que tu t’es retrouvĂ©e veuve. Tu as ta fillette, et peut-ĂŞtre cela suffit-il pour te rendre heureuse. J’ai entendu dire de la part de toutes nos connaissances communes que Marta est une enfant adorable. J’aurais aimĂ© moi aussi avoir un enfant, surtout dans la calamitĂ© oĂą je me trouve, mais je n’ai jamais eu le courage de penser Ă une telle chose. En fait, les docteurs ne savent pas si la maladie de Pavel est hĂ©rĂ©ditaire, mais ils n’écartent pas cette possibilitĂ©. Ce serait bien trop risquĂ© et Ă©goĂŻste de ma part d’assumer la responsabilitĂ© de mettre un enfant au monde, en connaissant ce pĂ©ril. Je suis seule et malheureuse. Pavel est internĂ©. Nous sommes rentrĂ©s hier de Vienne. Pendant presque une demi-annĂ©e Pavel a Ă©tĂ© soignĂ© par le professeur Freud. Aucune amĂ©lioration. Aucun espoir. Certes, il y eut des rĂ©missions et alors, je les suivais le professeur et lui en promenade dans les allĂ©es, discutant comme deux collègues. Le docteur a reconnu l’intelligence hors du commun de Pavel. Il lui a conseillĂ© d’écrire, de s’occuper avec quelque chose qui lui fasse plaisir, il lui a donnĂ© des livres Ă lire. En mĂŞme temps, il effectuait des traitements. Le professeur les appelle des sĂ©ances de psychanalyse. Il a Ă©galement essayĂ© l’hypnose. Moi aussi, j’ai assistĂ© Ă quelques sĂ©ances d’hypnose. Je ne peux pas te dĂ©crire. Tout est affreux. Parfois cela me semble incroyable que tout cela me soit arrivĂ© justement Ă moi. Alors je cherche quelque faute imaginaire, j’essaie de dĂ©couvrir par oĂą et en quoi j’ai fautĂ©, pourquoi le Ciel me punit avec une telle cruautĂ©. MĂŞme l’âge ne m’épargne pas. J’ai des troubles de toutes sortes, je ressens des frayeurs, les nuits d’insomnie. Je souffre d’épouvantables migraines. Tu me demandes pourquoi je ne t’ai pas rendu visite ? Je ne pouvais pas laisser Pavel et je ne pouvais pas non plus l’amener avec moi. De plus, il faut que tu saches que je ne suis jamais retournĂ©e en Roumanie. Je ne quitte mĂŞme pas notre domaine, si ce n’est pour aller chez les docteurs, ou au sanatorium. Je suis devenue ermite, mais je ne me plains pas. Je prĂ©fère cette situation aux questions auxquelles je n’ai pas de rĂ©ponse toutes les fois oĂą je rencontre une connaissance ou bien Ă la compassion de ceux qui m’entourent. Je te promets de t’écrire immĂ©diatement après le retour de Pavel de l’hĂ´pital. Peut-ĂŞtre qu’une meilleure pĂ©riode s’en suivra après ces internements. Je me sens si fatiguĂ©e, si isolĂ©e. Je t’inviterai bien chez nous, Marta et toi, mais j’ai peur. Pavel peut devenir parfois dangereux, au moment oĂą on s’y attend le moins. Ce serait un danger pour la petite et une peur continuelle pour moi. Telle est ma croix ! Je t’embrasse et je t’envoie des baisers. Avec toute mon affection, Corinne. La dernière lettre Ă©tait restĂ©e sur l’oreiller, Ă©clairĂ©e par le rai de lumière de la veilleuse. Corinne la prit dans la main en regardant l’écriture qui paraissait plus nerveuse, presque illisible. La lettre Ă©tait courte, elle n’était pas signĂ©e. Elle se terminait avec quelques caractères laissĂ©s en suspension, comme si quelque chose ou quelqu’un avait brusquement interrompu l’écriture. Un inexplicable sentiment de peur paralysait Corinne, l’empĂŞchait de se mouvoir. Deux forces essayaient leur pouvoir sur elle, l’une d’elle lui demandait de lire immĂ©diatement, tandis que la deuxième lui commandait de jeter la feuille de papier. La curiositĂ© l’emporta. Chère Tina, J’essaie de tenir ma promesse, et voilĂ , je t’écris tout juste après le retour de Pavel de l’hĂ´pital. Ainsi que je m’y attendais, il y a une amĂ©lioration. C’est dĂ» Ă son traitement, ou bien c’est une pause purement et simplement entre deux crises. Il fait nuit en ce moment oĂą je t’écris. Pavel dort, et moi, je ressens le besoin de parler avec toi. Mon âme est chargĂ©e de noirs pressentiments. Avant d’être internĂ©, il a Ă©tĂ© si violent que, pour la première fois, j’ai eu peur pour ma vie. Je ne saurais pas te dĂ©crire la souffrance et la torture en voyant l’homme qu’on aime dans un tel Ă©tat de dĂ©gradation. Cela fait bientĂ´t quinze ans que je vis ce cauchemar. Que Dieu te garde loin de ces ennuis, ta fille et toi. Jusqu’à prĂ©sent, j’ignore toujours quels pĂ©chĂ©s sont accrochĂ©s au-dessus de ma tĂŞte. J’entends du bruit dans la maison, Pavel s’est probablement rĂ©veillĂ©, j’interromps donc mon Ă©criture… Pavel … Seigneur…couteau…. Corinne lisait le dĂ©sespoir Ă l’intĂ©rieur mĂŞme des mots, comme si la lettre s’imprimait. Une autre Ă©criture, au bas de la page, Ă©tait ajoutĂ©e Ă l’encre plus dense : « enfin libĂ©rĂ©e »… La lettre lui Ă©chappa des mains, et elle se redressa, planant comme un oiseau blanc, lorsque, de manière inattendue, la fenĂŞtre s’ouvrit bruyamment. Le vent soufflait avec furie. Un courant d’air arracha le mince rideau de son rail. Amplement dĂ©pliĂ©, on avait l’impression qu’il dansait comme une robe. Immobile sur le bord du lit, elle suivait fascinĂ©e les ondoiements de la dentelle, jusqu’à ce que, glacĂ©e par le froid, elle commença Ă trembler. Elle sauta alors hors du lit, et se rua sur les battants qui cognaient contre le mur. Elle ferma la poignĂ©e de la fenĂŞtre et la verrouilla fermement, mais ses yeux continuaient Ă fixer la tache blanche. Dans la seconde qui suivit, le morceau de tulle disparut sous le lit. « C’est le fantĂ´me de Corinne », pendant une seconde, cette idĂ©e lui passa par la tĂŞte, effaçant toute trace de raison. Elle ne savait pas quand elle s’était endormie. Le tĂ©lĂ©phone sonna longtemps, de manière insistante, dans la chambre fraĂ®che et pĂ©nĂ©tra jusque dans son cauchemar. Elle se rĂ©veilla juste au moment oĂą elle rĂŞvait que Marius la menaçait avec le couteau Ă pain. La fenĂŞtre grinçait dans son cadre, et le vent gĂ©missait tel un animal blessĂ©. « Je rĂŞve ou c’est la rĂ©alitĂ© ? » songea t-elle en essayant d’être logique. Le tĂ©lĂ©phone lui cassait les oreilles. De ses mains gelĂ©es, elle prit le combinĂ©. Un rĂŞve ! Seigneur, quelle joie. Ce ne fut qu’un rĂŞve. A ce moment seulement, elle porta le combinĂ© Ă son oreille. - Allo, allo ! Ici, l’hĂ´pital central. Allo ! Pourquoi ne rĂ©pondez-vous pas ? La voix semblait nerveuse, impatiente. Votre mari est chez nous, aux urgences, gravement blessĂ©, suite Ă un accident de la circulation. Il nous a donnĂ© votre numĂ©ro, et nous a demandĂ© de vous avertir. Venez immĂ©diatement si vous voulez le trouver encore en vie. - Mon mari ? mon mari… mais je… mais quel rapport avec moi ? tenta d’articuler Corinne. Mais elle s’arrĂŞta brusquement. « C’est sa dernière volontĂ© », entendit-elle dans son esprit. « Sa dernière volontĂ©, tu dois l’accomplir. » Ă” combien Ă©prouvantes avaient Ă©tĂ© ces annĂ©es, Ă´ combien vivant encore Ă©tait son cri d’alors, dans les couloirs du tribunal : « Je te tuerai ! »… Son corps Ă©tait totalement recouvert de bandages. On ne voyait que ses yeux et ses lèvres. Quand il l’aperçut, une petite lueur s’alluma dans son regard embrumĂ©, et ses lèvres se mirent Ă remuer dans une tentative de dire quelque chose. - Tais-toi, tais-toi, ne parle pas ! L’effort pourrait te faire mal. VoilĂ , tu vois, je suis venue . Comme tu le voulais, puisque tu m’as appelĂ©e. Je suis lĂ maintenant. Tais-toi, je parlerai pour toi. PenchĂ©e Ă son oreille, elle commença Ă lui murmurer des mots apaisants, comme Ă un enfant inquiet. Elle s’émerveilla elle-mĂŞme de trouver ces mots, d’oĂą qu’ils vinssent. Probablement d’une rĂ©cente mĂ©moire, de ce temps d’autrefois lorsqu’elle lui parlait pour essayer de calmer ses crises de fureur. Les mĂŞmes mots. Ses mains s’agitaient, caressaient la gaze de ses bandages, palpaient le contour de ses propres mains Ă lui. - Je t’aime. Je t’ai toujours aimĂ©. MĂŞme si … tu vas… Non ! Non ! Cela, non ! Elle ne pouvait lui promettre de revenir, pas mĂŞme sous forme de mensonge, pour son dernier voyage. Elle s’arrĂŞta effrayĂ©e, et observa alors que ses lèvres Ă lui continuaient de remuer. Elle colla son oreille contre la sienne, surmontant ainsi sa rĂ©serve. Cela lui faisait mal. Comme dans un songe, elle dĂ©chiffra les mots : - Tu dois me pardonner. Tu dois me dire que tu me pardonnes. - Non ! je ne vois pas pourquoi. - Il le faut. L’accident, l’accident… j’étais en route… avec le couteau… Tu comprends ? Son regard se fixa dans ses yeux. Il respira dans un râle, ses lèvres devinrent livides. J’ai voulu… te tuer. ParalysĂ©e, Corinne le regardait immobile. Elle aurait voulu rĂ©pondre Ă son regard, mais ses lèvres remuaient dans le vide, son cou se serrait spasmodiquement. Ainsi, le rĂŞve, la lettre… Son esprit s’envola. Ses paupières tressaillirent apeurĂ©es. « Nahaş Č›efa, nahaş Č›efa ». L’alarme brisa le silence. La sĹ“ur dĂ©boula dans la pièce. - L’abri est au sous-sol. Venez ! Pour votre mari, la guerre est finie. « Nahaş Č›efa, nahaş Č›efa », tout en rĂ©sonnant, les paroles lui semblaient plus sinistres que jamais. « Il est dĂ©cĂ©dĂ©, il est dĂ©cĂ©dĂ©, il est dé… » (Traduction et version française : Clava Ghirca, Nicole Pottier.)
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